Tout au long des prochains mois, jusqu'en juin, le Centre Culturel Irlandais accompagne la célébration du centenaire de la parution, le 2 février 1922, à Paris, d' "Ulysse ", le roman-fleuve de James Joyce. Autre centenaire fêté en beauté, celui de l'indépendance de l'Irlande. Expositions, conférences, balades audio, happenings, représentations théâtrales, films, concerts se succéderont. De quoi voir la vie en vert !
Par Marianne Lohse
Elle n'avait pas froid aux yeux, Sylvia Beach, la jeune Américaine propriétaire de la librairie parisienne " Shakespeare and Company. En 1921, cette fille d'un pasteur presbytérien décide de publier et de vendre le roman-fleuve de James Joyce refusé par plusieurs éditeurs et interdit pour obscénité aux Etats-Unis où il a paru en feuilleton, dans " The Little Review ".
Le jour J, Joyce a quarante ans. Il a quitté Trieste pour Paris deux auparavant avec sa famille, sur les conseils de son ami Ezra Pound. Publié pour la première fois au Royaume Uni en 1936, " Ulysse " se vendra en Irlande sous le manteau jusque dans les années soixante et le film qu'en avait tiré Joseph Strick (1967) sera censuré jusqu'en 2000. Le livre, réputé illisible - ou réservé à une élite - continue de fasciner par son audace, son souffle.
L'action (plus de mille pages en Folio) se déroule en une seule journée, à Dublin, le 16 juin 1904 (le fameux Bloomsday). Au centre de cette Odyssée dublinoise, Leopold Bloom, un juif cosmopolite et libre penseur marié à l'infidèle Molly et qu'accompagne dans ses déambulations l'écrivain Stephen Dedalus. "Joyce démystifie les idées de style, d'œuvre achevée, d'original...Au moins autant qu'il en représente l'idéal" souligne Tiphaine Samoyault qui a participé à la dernière traduction collective d'Ulysse, en 2004 (Autour du Monde, Gallimard). "
Joyce, renchérit le romancier irlandais Colm Toibin, exploite toute une série de palettes narratives telles que le pastiche.ou la polyphonie". Ce dynamitage du langage, l'absence de ponctuation, les onomatopées peuvent désarçonner le lecteur. " S'attaquer à Ulysse est aussi prestigieux que peut l'être un marathon pour un athlète ordinaire" dit encore Toibin..
Dans " Ulysse ",la sensualité est omniprésente et parfois crue.Ni tabou, ni pruderie. Tout au long du récit, Bloom ne cesse de tuer le temps (avec un petit détour au bordel) pour chasser de son esprit cette réalité odieuse: Molly reçoit son amant dans sa propre maison.
S'il ne fallait lire qu'un passage, on choisirait le monologue intérieur de Molly avec son fameux yes (oui) d'une sexualité triomphante. On ne ratera pas, en mai, au Centre Culturel Irlandais " Yes ! Reflections of Molly Bloom", une performance de la comédienne Aedin Moloney encensée par la critique new-yorkaise.
Joyce a pu choquer ses contemporains, lui l'exilé, par son insolence, son impiété, sa description sans fard d'une société irlandaise dont il détestait l'ultra- conservatisme. En 2022 l'Irlande regarde son passé en face. Un passé où le pouvoir britannique, la mainmise de l'Eglise catholique, un nationalisme parfois borné ont pesé lourd (Voir jusqu'au 30 mars l'édifiante exposition " A Nation under the influence")
En 1922, il n'était pas permis aux femmes mariées d'entrer dans la fonction publique. En 1925 le divorce avait été interdit. En 1927, la censure fut instaurée. Cette année là, une pastorale condamna les danses modernes jugées trop lascives. En 1935, on bannit toute importation, vente ou publicité de contraceptifs. Prononcer le mot "avortement" était impensable (même légalisé, l'IVG aujourd'hui reste difficile à appliquer). Les femmes se retrouvèrent vissées à la maison. Elles étaient la propriété de leurs maris qui, jusqu'en 1965 purent les déshériter en toute impunité. Il faudra attendre 1970, dans la perspective de l'adhésion à la Communauté européenne (effective en 1973) pour que l'horizon s'éclaircisse..
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Dix huit photos grand format, en noir en blanc, captent le regard dans la belle cour du XVIIIème du CCI, autrefois Collège des Irlandais. Pour son exposition " Following Ulysses" (chaque photo correspond à un chapitre du roman), Deidre Brennan entrechoque deux époques, deux villes. Le Dublin rêvé de Joyce et le Dublin d'aujourd'hui. L'archaîsme y nargue la modernité, le tragique y côtoie le loufoque . ¨
Brennan se bat depuis toujours contre la discrimination, l'exclusion, pour l'égalité des droits.
Elle cadre des visages qui expriment le désarroi, comme celui de ce SDF avec ses chiens, la colère et le courage comme celui de cette militante pour l'avortement.Tous nos repères en sont bousculés. Joyce aurait aimé.
Marianne Lohse
www.centreculturelirlandais.com
A lire
" Uysse " de James Joyce. Traduction et édition sous la direction de Jacques Aubert. Folio. 1660 pages. 13,60 euros.
A visiter
Tous les 16 juin, Dublin vit au rythme du fameux Bloomsday, du nom du personnage d'Ulysse, Leopold Bloom. Un parcours permet de retrouver les lieux du roman, de la tour Martello au Belvedere College en passant par le pub Davy Byrne's ou la pharmacie Sweny. Costumes d'époque et bonne humeur obligatoires.
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