Troyes : exposition Francis Chigot à la Cité du Vitrail, un an après son ouverture

Pourquoi une " Cité " du Vitrail ? Et pourquoi à Troyes, dans l'Aube ?

"Ce choix répond au fait que sa structure n'est pas celle d'un musée puisque nous n'avons aucune collection. S'il y a collection, elle se constitue avant tout de l'ensemble des vitraux disséminés sur le territoire aubois, visibles, en grande partie, dans leur bâtiment d'origine, religieux ou civil. La Cité ne se comprend et ne s'envisage qu'en fonctionnant, principalement, avec les quelque 350 églises et édifices publics conservant du vitrail dans l'Aube, parmi lesquels 220 églises classées pour leur patrimoine vitré. Nous avons fait, néanmoins, un certain nombre d'acquisitions, et recevons des dons, notamment des fonds d'ateliers de maîtres verriers".

Par ailleurs, l'appellation "musée" ne correspond pas au principe même du projet. La caractéristique de la Cité du Vitrail est d'être un espace polyvalent, souple et malléable, permettant une présentation sans cesse renouvelée du vitrail. Nous l'avons conçu comme un lieu d'exposition de vitraux ne pouvant plus être vus dans leur contexte d'origine, pour cause de restauration ou de destruction de l'édifice religieux et/ou des verrières elles-mêmes.

Nous présenterons ainsi au public des vitraux déposés, parfois restaurés, en attente de retrouver leur structure architecturale initiale. La Cité du Vitrail offre au visiteur un accès inédit à l'art du vitrail, beaucoup plus proche et sensoriel, puisque placé à hauteur de regard. Nous montrerons également, dans les mêmes conditions de présentation, des vitraux d'une valeur esthétique, historique ou technique importante qui sont restés, pour diverses raisons, conservés dans des réserves de musées, des dépôts des Monuments historiques ou de communes".

Anne-Claire Garbe
Conservatrice de la Cité du Vitrail

Buveur de Champagne, par Henri de Faucigny-Lucinge, 1874, coll. Cité du Vitrail, dépôt d'Alain Vinum © Arch. dép. Aube / Elsa Viollet

Lors de ma visite, c'est le vitrail qui m'a touchée le plus...

Ce buveur attablé reprend les codes de la peinture de genre hollandaise : le sujet populaire, le rictus légèrement sarcastique, le vêtement, le travail de peinture en camaïeu de bruns... Le modèle de la flûte de champagne est même imité des verres hollandais du XVIIe siècle. 

Henri de Faucigny, prince de Lucinge est né à Londres. Il intègre la petite noblesse auboise par son mariage avec  Noémie de Chavaudon. Il vit au château de Sainte-Maure où il installe son atelier et ses collections d'objets d'art. Si la destination de ce panneau est inconnue, on peut supposer qu'il devait orner un cabinet de collectionneur.

La Cité du Vitrail est installée dans l'aile ouest de l'Hôtel-Dieu-le-Comte, remarquable ensemble du XVIIIe siècle, acquis par le Département de l'Aube en 1990 et dont la restauration est toute récente.

Hôtel Dieu Le Comte - © Studio OG

L'imposant vaisseau de pierre est bâti au bord du canal de la Haute-Seine. Il y dévoile sa minérale blancheur tout en majesté...

Dès l'entrée, l'escalier monumental en chêne massif plonge d'emblée le visiteur dans le vif du sujet : il est orné d'un lustre de 15 mètres de haut, composé de 24 manchons de verre coloré pesant 6 à 7 kilos chacun, ces grandes bouteilles constituant la matière première du vitrail - une fois fendues et aplaties, elles donneront les précieuses feuilles de verre. Ces manchons colorés (le brun qui rappelle la grisaille, le rouge qui symbolise le verre en fusion et cet ambré qui fait référence au jaune argent, utilisé pour peindre sur le verre) sont suspendus par des filins. Leur mise en lumière incite le visiteur à gravir l'escalier... 

Car le visiteur est invité à monter à l'étage le plus haut pour commencer la visite. Au 5e niveau, salle de gauche, puis celle de droite... puis on descend d'un étage...

Se développant ainsi sur 3000 m2, la Cité du Vitrail se compose :

- d'une exposition permanente d'œuvres originales, entièrement dédiée à l'art du vitrail. Elle aborde tant la création du vitrail que sa chronologie historique, ses techniques spécifiques mises en œuvre, et apporte des clés de compréhension pour décrypter cet art.

- d'un pôle d'étude et de recherche du vitrail offrant aux historiens, étudiants-chercheurs et spécialistes du vitrail un lieu propice à encourager la connaissance du vitrail. Les chercheurs y trouveront à la fois un centre de documentation spécialisé et un centre d'étude pour l'observation et l'analyse des œuvres déposées ou confiées à la Cité.

 
- d'ateliers pédagogiques à la programmation pluridisciplinaire et ouverte à tous les publics.

Déballage d'un vitrail (panneau islamique) prêté par le Musée du Louvre

photo © Claire Vuillemin

Panneau Islamique, vase fleuri provenance Egypte (Le Caire) 19e siècle prêt du Musée du Louvre © Studio OG 

Le motif du vase fleuri - ici des iris - est très répandu dans l'art ottoman et s'inspire de la vie quotidienne. La conception de ce panneau, probablement réalisé au Caire au XIXe siècle, est assez éloignée de nos vitraux occidentaux. Ici, il s'agit essentiellement de filtrer la lumière pour en atténuer la puissance et maintenir l'intimité de ceux qui évoluent derrière. Très répandus dans le monde islamique depuis le XIXe siècle, en contexte religieux (mosquées) ou privé (palais), ces panneaux contribuent à créer une atmo-sphère fraiche et colorée en intérieur. Ils sont parfois signés de noms célèbres.

https://cite-vitrail.fr

Cité du Vitrail

Hôtel-Dieu-le-Comte

31 quai des Comtes de Champagne

Troyes

La France possède 80 % des vitraux du monde, 80 % des vitraux français sont au nord de la Loire, 80 % des vitraux du nord de la Loire sont en Champagne-Ardenne et 80 % des vitraux de la Champagne-Ardenne se trouvent dans l'Aube. Les églises de Troyes et de l'Aube offrent ainsi une collection de vitraux unique au monde avec un panorama complet du vitrail du XIIe au XXIe siècle.

Troyes, Eglise Saint-Nizier, La Vie de St Gilles

Détail des 3 panneaux : Messe de Saint Gilles, Résurection du fils de Clotaire, Don des portes en bois de cèdre pour le monastère de Saint Gilles  vers 1520, prêt de la Ville de Troyes © Arch. dép. Aube / Elsa Viollet

Cet art est toujours vivant. D'autres chiffres fascinent :

Dans le département de l'Aube, pas moins de 9 000 m2 de verrières antérieures à la Révolution française ont été inventoriées, soit plus de 1 100 baies réparties dans 220 édifices, essentiellement religieux. Si l'on inclut les verrières de facture plus récente, ce sont 350 édifices qui sont ornés de vitraux - cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Troyes, petites églises de campagne, hôtels particuliers, etc

Un peu plus de 1000 vitraux sont classés au titre des monuments historiques pour le seul XVIe siècle, période de création florissante en Champagne méridionale (vitrail, sculpture...). 

" Cette abondance de production s'explique par les phases de prospérité en Champagne ", rappelle Anne-Claire Garbe. En effet, les opulentes foires de Champagne du Moyen-Âge ont stimulé la construction d'édifices religieux. A cette époque, le message théologique se transmettait par les vitraux. "Ajoutez à cela le fait que la région a été préservée des bombardements durant les deux guerres mondiales plus une forte tradition concrétisée par l'engagement des maîtres verriers aubois qui se sont mobilisés, en 1939, pour déposer les verrières des églises et les mettre à l'abri dans le sud de la France, et vous comprendrez pourquoi ce patrimoine est si riche aujourd'hui ", poursuit la jeune conservatrice de la Cité du vitrail.

Dans l'atelier

photo © Claire Vuillemin

Le plus ancien vitrail de l'Aube est l'Ange encensant et deux apôtres, vers 1170-1180 ; un prêt des Musées d'art et histoire de Troyes à la Cité du vitrail. Certaines pièces sont monumentales, tel l'Arbre de Jessé de Laines-aux-Bois (Aube) : un vitrail de 3,50 m x 2 m, représentatif de la riche production locale du XVIe siècle. Le plus beau siècle du vitrail. Entre 1480 et 1580, plus de 1300 verrières sont installées dans les centaines d'églises agrandies ou construites au sein du diocèse de Troyes. Au jaune d'argent s'est ajoutée la sanguine permettant de nuancer les carnations et les chevelures, depuis le brun chaud jusqu'au roux intense et au rouge vif. Au XVIe siècle, ces deux couleurs vitrifiables, puis l'introduction des émaux, revivifient l'art du vitrail.

Des chefs-d'œuvre, on en croise ici de toutes les époques, et jusqu'au XXIe siècle. On se rend compte ainsi que le vitrail est un art bien vivant, qui accompagne les mouvements artistiques et innove en permanence. Témoin, ce Grand vitrail de la vitesse, presque futuriste, réalisé dans les années 1920 par Jacques Simon.

La vitesse, par Jacques Simon, ateliers Simon Marq (Reims), 1928,

coll. Cité du Vitrail © Arch. dép. Aube / Elsa Viollet

La famille Simon-Marq constitue la dynastie française de peintres-verriers ayant connu la plus remarquable longévité, son activité s'étendant du XVIIe au XXIe siècle. Durant l'entre-deux guerres, son principal représentant est Jacques Simon, qui s'illustre à la fois par la restauration de vitraux anciens et par des créations destinées aux architectures contemporaines. Ce vitrail s'inscrit dans ce second aspect de son activité. Il s'agit d'un vitrail destiné au pavillon de l'Automobile-club Champagne-Ardenne-Argonne édifié en 1928 à Reims.

Egalement le vitrail offert par l'artiste Fabienne Verdier, artiste peintre de renommée internationale, qui orne l'oculus de la chapelle : un Cortex ascendant et en expansion, comme une fulgurance de lumière. Le vitrail est exécuté par la Manufacture Vincent-Petit (Troyes). Cette création rappelle les verrières en grisaille et jaune d'argent qui se développent au milieu du XVIe siècle, notamment dans l'Aube.

Il pleuvait, le ciel était tout gris le jour de ma visite et pourtant ce vitrail était d'un jaune tellement lumineux que je croyais qu'il était éclairé... mais non.

Oculus de l'Hôtel Dieu - Cité du vitrail - © Studio OG

La programmation culturelle et scientifique de la Cité du Vitrail se veut également exigeante en proposant des expositions temporaires monographiques ou thématiques de qualité, en créant des événements scientifiques ou artistiques récurrents et ponctuels (conférences, colloques, lectures, journées thématiques...).

Soucieuse de susciter l'émotion lors de la rencontre avec les œuvres, la Cité du Vitrail propose des outils et des contenus adaptés comme par exemple la Route du Vitrail, une application incitant à parcourir le territoire en toute autonomie. 

Grâce à une Web application, vous pouvez découvrir en ville ou à la campagne, l'art du vitrail ancien ou contemporain, figuré ou abstrait.

La sélection tient compte de l'intérêt historique, technique, esthétique des œuvres et de leur état de conservation. La Route fait aussi la part belle à la création contemporaine qui, ces dernières années, s'est invitée dans les églises (Villenauxe-La-Grande par exemple) comme dans l'espace public (Maison Rachi, Centre de congrès de l'Aube, parking Cathédrale à Troyes). .

https://route-vitrail.fr

Coloquintes et nymphéas, par Jacques Gruber, atelier Gruber,

prov. demeure de Paul Luc (Nancy), 1905, prêt du musée de l'Ecole de Nancy © Studio OG