Alphonse Allais les aurait peut-être appéciées même si l'humoriste aurait sans doute commis quelques fautes étant donnée la difficulté des dictées concoctées par Jean-Pierre Colignon. Ancien chef du service correction du quotidien Le Monde, auteur de multiples ouvrages traitant de la langue française sous ses différents aspects, ancien membre du jury des Dicos d'Or de Pivot auxquelles le fondateur de Claire en France a parfois participé, J.P. Colignon, membre de l'Académie Alphonse Allais, élabore chaque année quelques dictées mémorables aux pièges multiples. Il faut beaucoup d'attention, de connaissances lexicales, de rigueur et une bonne dose d'humour pour les éviter. Qu'on en juge avec ces textes qu'il vous est loisible de lire à haute et intelligible voix à vos proches et à vos amis, en les munissant d'une feuille de papier et d'un stylo, avant de passer aux corrections et au décompte des (inévitables) fautes...
Si l'exercice les amuse, il sera toujours possible de recommencer avec un autre texte aussi ardu. Promesse (tenue) de leur auteur qui vient de "remettre le couvert" le 15 octobre 2011 pour les fondus d'orthographe réunis dans un cabaret de la Place du Tertre à Montmartre sous l'égide des Amis d'Alphonse Allais (dont nous sommes) !
Cette dictée a été qualifiée de "loufoco-logique" et elle a été "délivrée" le 31 mars 2007 à Honfleur où, comme chacun sait, Alphonse Allais est né et où il a sévi comme préparateur dans la pharmacie paternelle. La dictée s'adresse à 3 niveaux de participants : les cadets, les juniors et les autres... Claire en France la reproduit avec l'aimable autorisation de son auteur. Qu'il en soit remercié.
GR
Etonnantes rencontres à Honfleur
Native de Belgrade, Sylvia aux yeux pers et aux cheveux auburn fréquente Honfleur depuis quelque cinq ans ; elle y vient les samedi et dimanche de chaque semaine dès que le printemps est là. C'est une accorte jeune femme au teint rubicond et à la constante alacrité, qui aime faire bonne chère.
Familière de nombre de restaurants sympas qui n'ont rien de gargotes à la néfaste "food", et, aussi, de bars conviviaux, elle hante un établissement sis non loin de la belle église Sainte-Catherine qui contribue à faire de Honfleur une des cités les plus intéressantes de l'Hexagone.Cliente fidèle de ce café-restaurant, elle en connaît bien l'échanson.
Fin pour les cadets
Ce jour-là, elle y est attablée avec sa copine Cécile, l'amareyeuse logorrhéique qui trime à longueur d'année dans les parcs à huîtres de Cancale (Ille-et-Vilaine). C'est un dur métier, avec pour seuls interlocuteurs les gryphées et les pieds-de-cheval... Tandis que son amie lui dépeint continûment les dix fils d'un voisin, un horticulteur revêche, la Serbe commande - à son camarade sommelier, donc - un beaujolais-villages que d'aucuns mettraient bien dans des goutte-à-goutte en vue de transfusions non prescrites par les professionnels arborant un caducée au serpent qui s'enroule autour d'un bâton.
Fin pour les juniors
Pour autant, elle ne perd pas une miette des propos inépuisables de son amie, qu'ils portent sur l'acerbe à la famille nombreuse, sur l'essaim à l'air signe des taons ou des guêpes, sur l'amas des housses et des taies dans l'entrée de leur hôtel, ou bien sur les myrrhes d'Arabie.
Les gommes-résines ne passionnent pas Sylvia outre mesure, pas plus que les arbres, les plantes ni les fleurs - à l'exception des scilles courbées, cultivées parfois pour leurs vertus médicinales et qu'elle verrait bien partout sur les terre-pleins et à tous les ronds-points. D'ailleurs, elle le répète à sa copine : "Je ne comprends rien à tes plantes sessiles, ma fille !", tout en mangeottant un nougat rosé.
A la table d'à côté, un paludier de Noirmoutier exhibe à l'envi des photos de ses marais salants où des mulons se dressent devant, en arrière-plan, l'amer noir, repère des marins : "Les tas, c'est moi !", proclame-t-il fièrement.
Tandis que résonne en fond sonore la Marche turque de Mozart qui mettait Liszt en boule, deux scinques qui viennent de s'évader du vivarium voisin effraient un habitué des lieux, un acteur de la Comédie-Française, ascète étique un peu toc toc peu féru d'(h)erpétologie mais passionné par les beaux lieds de Schubert. Mais en cinq sec un autre familier des lieux - un pétulant Genevoix plein d'allant et d'entrain - met sur-le-champ fin à la cavale des deux loustics, démentant ainsi le médisant propos qui fait des Helvètes des lents ternes...
Alors, oui, on aime aussi aller à Honfleur pour y faire d'étonnantes rencontres !
Dictée « loufoco-logique » de l'Association des Amis d'Alphonse Allais, le samedi 15 octobre 2011, à la « Crémaillère » à Montmartre
L'entente cordiale… voire plus !
Revenant d'un déplacement professionnel dans un pays d'Asie Mineure en cette mi-octobre, Yvonne aux cheveux auburn, jolie Montmartroise de quelque trente printemps, se plaignait d'ankylose du genou droit, en cette Sainte-Edwige, à un philatéliste britannique un peu timbré rencontré place du Tertre. Ce citoyen du Royaume-Uni suscitait quelques lazzis mineurs en refusant catégoriquement qu'on lui imposât de prendre dans la journée le moindre sou(-)chong en dehors de l'heure des thés. Cardiologue, cet entêté se disait même prêt à quérir les coroners !
Un peu hypocondriaque, Yvonne retenait plus encore l'attention du praticien d'outre-Manche. Sans être un hippiatre, celui-ci était très à cheval sur l'éthique, pis qu'un ORL – et pourtant, déjà, un oto-rhino, c'est rosse ! Les tics d'Yvonne se ramenaient à la phobie des grandeurs et à la peur panique de se retrouver prématurément avec des appas rances…
L'amant sarde d'Yvonne, un peu décrépit, ne lui apportait plus de satisfaction(s), et la jeune femme traînait dans les rues avant de rentrer au logis de la rue Cyrano-de-Bergerac. Elle eût aimé partir tous les vendredis soir, sans aucuns frais, pour une destination hors de l'Hexagone : un petit tour à Gand, par exemple. Mais plus d'un de ses amis assurait qu'elle était trop attachée à la Butte pour s'en éloigner si fréquemment…
Généralement, à dix-huit heures trente, elle rejoignait à la brasserie une copine œnologue qui ne cesse de vanter les vertus thérapeutiques des verres solidaires entre amis, et prône la prise, chaque soir, d'un grand ballon d'alsace : du gewurztraminer, par exemple. Sa sœur puînée croit au pernod (ou : Pernod), elle ! Yvonne, convaincue elle aussi que meurt sot celui qui ne boit pas de vin, a adopté le sauternes et se passionne pour les dégustations à l'aveugle des quinze vins sélectionnés par le patron.
Notre toubib anglais, dans cette ambiance chère au grand Alphonse, abandonne son quant-à-soi pour s'intéresser de plus en plus non à l'Académie Alphonse Allais, mais à l'académie d'Yvonne. Cette dernière, s'étant définitivement rendu compte qu'avec son air penché son Italien n'était qu'un pis-aller, décide de le remplacer par ce fils d'Albion qui n'a plus rien d'un misanthrope. Entre eux, c'est l'hymen !
© Jean-Pierre Colignon, octobre 2011.
A noter :
A l'occasion de la parution de son "Dictionnaire ouvert jusqu'à 22 heures", le Cherche midi et l'Académie Alphonse Allais vous convient à une séance de lecture publique et de signatures samedi 12 novembre 2011 à 15h au Grenier à Sel de Honfleur.
À cette occasion, Isabelle Alonso sera intronisée membre de l'Académie.
Venez rire nombreux !
Informations pratiques :
Le Grenier à Sel, Rue de la Ville, 14600 Honfleur
Allais-y !
Association des Amis d'Alphonse Allais
« La Crémaillère », place du Tertre – Samedi 17 novembre 2012
Gens de la lune
L'eusses-tu cru, toi qui, bonne pâte, m'écoutes en t'empiffrant de gaufres liégeoises à la cassonade ? Contrairement à cette coquecigrue que d'aucuns se sont imaginée en parlant d'un labyrinthe inextricable de ruelles, de sentes, voire de layons, l'accès à la place du Tertre, même par le temps fort brumeux qui sévissait ce jour-là, n'est tout de même pas le treizième travail d'Hercule !
Pourtant, bien qu'il y eût entre autres, au sein de la joyeuse compagnie qui s'était
donné rendez-vous là, des femmes et des hommes des brouillards, du crachin, de la bruine, venus de l'ouest de l'Hexagone, quelque téméraires qu'ils fussent ils n'étaient plus que des nouveau-nés alogiques, désorientés, perdus... Contre cette brume piquante, certains s'étaient fait servir par avance des blondes légères, et, rendus diserts par les demis pression, révisaient à haute voix les rections de tel ou tel verbe.
Plus distraits, toujours dans la lune, tel le poète qui perd ses vers, d'autres naviguaient néanmoins à l'estime, mettant un point d'honneur à se distinguer de ceux à qui ils reprochent d'être trolley, trop bus, trop métro... Comme dit le benjamin, Séléné (ou : Sélêné), le plus beau des astres, les conduit toujours à bon port.
Après avoir hésité entre plusieurs gâteaux, et peu convaincue par le dessous des tartes, une soi-disant devineresse est restée sur le flan, et s'achemine vers Montmartre tout en le grignotant, car toujours la pythie vient en mangeant. Quoique atteinte de TOC (ou : T.O.C.),
elle est beaucoup appréciée des autres martyrs volontaires de l'orthographe car dans les pauses elle narre à l'envi, avec un esprit attique, moult histoires d'eau(x). Il faut dire qu'elle est aussi rhabdomancienne !
Quittant l'éther sombre grâce à une bise qui balaie en cinq sec le smog, le sale temps qui conduit le bal, les plus rêveurs, les gens de la lune, surgissent les premiers place du Tertre pour un rendez-vous avec leur soleil d'Austerlitz !
© Jean-Pierre Colignon, novembre 2012.
Le dessous des karts
Dictée « loufoco-logique » 2013
Association des Amis d'Alphonse-Allais
« La Crémaillère », place du Tertre, samedi 30 novembre
Une assistance choisie s'était déplacée place du Tertre, en cette Saint-André, pour écouter quatre soi-disant historiens italiens et allemand du sport… La personnalité de ces spécialistes hauts en couleur et à la logorrhée réputée promettait en effet une conférence fort intéressante, avec le plus d'anecdotes possible.
Même les deux plus grandes commères de Montmartre avaient cessé leurs bavardages excédants à l'arrivée sur l'estrade du natif de la Hesse ˗ plus précisément de Francfort-sur-le-Main ˗, une région plaisante qui ne mérite vraiment pas d'être saluée par un « Bonjour, triste Hesse !... » désobligeant. Les autres spécialistes, les compatriotes de Verdi, furent également accueillis par des vivats enthousiastes.
L'auditoire, d'abord, se laissa donc conter fleuret, sabre et épée… D'où il ressortit, par comparaison avec des sports pratiqués à Roland-Garros ou au Parc des Princes, que l'escrime ne paie pas. Au vingt et unième rang, soucieux de la marche de son affaire, un industriel pensait au coût des stocks, tandis qu'à sa droite une femme-canon peu sculpturale à la plique sébacée peu ragoûtante envisageait de tenter un record de portée.
Un des intervenants enchaîna avec de croustillantes révélations sur le dessous du milieu des courses, outre-Atlantique, de ces petits véhicules automobiles de compétition à embrayage automatique, sans boîte de vitesses, suscitant de nombreux paris qui laissent légion de joueurs tout marris. Une tradition bien ancrée là-bas, rapporta-t-il, veut que les pilotes portent ou bien la moustache ou bien un bouc. « Le bouc m'écoeure ! », s'exclama alors une péronnelle aux yeux pers et dont les cheveux carotte frisottaient hardiment.
Le cyclisme sur piste apporta son lot d'historiettes, qui mirent en joie des adolescents flamands souffrant d'acné rosacée et qui mangeottaient des petits-beurre. S'étant plu à Montmartre lors d'un premier séjour, ils s'étaient, depuis, installés vers le Sacré-Coeur…
Mais, quoique bien disposés à l'égard des orateurs, les spectateurs se récrièrent et déclenchèrent une bronca quand l'un d'eux voulut parler de la corrida. Plus d'un, dans la salle, estimait en effet qu'il s'agissait d'un spectacle dégradant, et que l'on ne voyait que des bouchers, à l'arène !
© Jean-Pierre Colignon, novembre 2013.
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