Ce petit homme discret, vêtu d'une veste chinoise passe-partout, on le voyait dans toutes les ventes importantes de Sotheby's, Christie's ou Drout, raflant souvent des trésors à la barbe des grands musées. Couturier génial et collectionneur impulsif, Azzedine Alaïa a constitué en cinquante ans, jusqu'à sa mort, en 2017, l'un des plus importants fonds de vêtements au monde. Une sélection de cent quarante pièces est, pour la première fois, exposée au Palais Galliera.
Visite avec Marianne Lohse.
Azzedine Alaïa en train de draper une robe de Madeleine Vionnet, 1990 © Patricia Canino
Génie anticonformiste, Azzedine Alaïa aura largement contribué à définir la silhouette féminine des années 80, à la fois intemporelle et glamour. Adulé d'une clientèle triée sur le volet, cet ancien élève de l'Ecole des Beaux Arts de Tunis (il y a étudié la sculpture) ne se soucie pas du calendrier de la mode, préfère les défilés intimistes aux grands shows, crée et présente à son propre rythme.
Encouragé par Thierry Mugler et Carla Sozzani, il lance sa marque en 1981. Paris et New York adorent. Ses vêtements, il les modèle le plus souvent à même le corps. Il est l'un des rares couturiers à maitriser tout le processus créatif. " ll coupe, il coud, il monte chaque vêtement à la main. Il sait tout faire!" dira de lui Olivier Saillard, directeur de la Fondation Azzedine Alaïa et commissaire de l'exposition avec Miren Arzalluz, directrice de Galliera.
Photo Gautier Deblonde
Dix ans après la rétrospective que lui a consacrée le Musée pour sa réouverture, c'est à la fois une leçon de beauté et de modestie que nous donne le couturier. Alaïa a réuni la plus grande collection personnelle qui soit : 20 000 pièces ! Nous en verrons cent cinquante. Elles portent les noms prestigieux de créateurs de la fin du XIXème siècle mais aussi ceux de ses contemporains et parfois des plus avant-gardistes. Il n'était d'ailleurs pas rare de voir Alaïa au premier rang de leurs défilés.
Photo Gautier Deblonde
Les dix neuf mille huit cent soixante autres pièces de la collection dorment à l'abri des regards dans un entrepôt et dans les étages sécurisés du 18 rue de la Verrerie. Cet immeuble acquis par le couturier en 1987, dans le Marais, regroupe aujourd'hui le siège de la Fondation Azzedine Alaïa reconnue d'utilité publique, des réserves, une salle d'exposition, une librairie, un restaurant mais aussi les ateliers et le studio de la marque, propriété du groupe Richemont.
Photo Gautier Deblonde
Le virus de la collectionnite saisit le Franco-Tunisien un jour de mai 1968. Cristobal Balenciaga vient de fermer sa maison de couture. Mademoiselle Renée, proche collaboratrice du maitre espagnol propose à Alaïa de venir choisir tous les tissus et modèles qui pourraient l'intéresser. Alaïa n'a que trente trois ans alors mais son talent, sa formidable technicité sont déjà reconnus. Le jeune homme réalise combien ces vêtements extraordinairement sophistiqués en dépit de leur apparente simplicité sont fragiles et méritent d'être préservés. Garant d'une précieuse mémoire, il n'aura de cesse d'accumuler les trésors de mode qui l'intéressent, haute couture et prêt à porter, mais aussi tous les documents (toiles, photos, courriers, et même factures) illustrant ces créations et la vie des ateliers. Il hante les salles des ventes, les antiquaires, les brocanteurs. Parfois, l'argent manque. Il se débrouille, emprunte.
" Ni Dior ni Lagerfeld, ni Saint Laurent n'ont fait ce travail de constituer une collection de mode pour perpétuer la mémoire et signifier la valeur de leur discipline. Le seul qui l'ait fait, c'est ce petit Tunisien pauvre " souligne Olivier Saillard.
" Depuis de nombreuses années dira Alaïa, j'achète et je reçois les robes, les manteaux, les vestes qui témoignent de la grande histoire de la mode. C'est devenu chez moi une attitude corporative de les préserver, une marque de solidarité à l'égard de celles et ceux qui avant moi, ont eu le plaisir et l'exigence du ciseau ".
Madeleine Vionnet, robe du soir " Petits chevaux ", haute couture, vers 1924
Alaïa a beaucoup fait pour certains créateurs un peu oubliés comme Madeleine Vionnet, grande dame de la haute couture de l'entre-deux guerres dont il admirait la maitrise de la coupe en biais et du drapé. Ou l'Américain Adrian surnommé " le couturier d'Hollywood " qui habillait Greta Garbo, Jean Harlow ou Joan Crawford.
Près de trois cent cinquante de ses créations mais aussi des dessins et des documents inédits ont rejoint les archives d'Azzedine Alaïa. Le couturier chérissait Madame Grès pour ses drapés à l'antique, ses plissés savants, ses volumes découpés. Au point d'acquérir plus de sept cents de ses modèles (une partie est actuellement visible, rue de la Verrerie, à la Fondation).
Jeanne Lanvin, robe du soir, haute couture, vers 1935
© Patricia Schwoerer /rgmparis
Grand admirateur de Jeanne Lanvin pour ses sublime robes du soir, Alaïa possédait plusieurs centaines de ses vêtements. Le couturier a toujours eu à coeur de protéger les grandes griffes des pères fondateurs. Paul Poiret (1879-1944) occupe chez lui une place de choix. Comme Charles Frédéric Worth ou Jacques Doucet.
On s'attardera volontiers devant les petites robes noires des débuts de Gabrielle Chanel, les fourreaux de Jacques Fath (muse de Fath et amie d'Alaïa, le mannequin Bettina l'aida à réunir la plus importante sélection de modèles griffés du jeune couturier) ou la robe trapèze d'Yves Saint Laurent pour Dior. Une overdose de beauté.
Christian Dior par Yves Saint Laurent, robe de cocktail, ligne " Trapèze ", haute couture, printemps-été 1958 © Patricia Schwoerer /rgmparis
Marianne Lohse
Jusqu'au 21 janvier 2024
Palais Galliera
musée de la Mode de Paris
10 avenue Pierre Ier de Serbie Paris 16ème
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