Comment Paul Guillaume a-t-il rendu "Modi" immortel ? Les deux hommes se rencontrent en 1914. En rassemblant plusieurs œuvres emblématiques, l'Orangerie qui abrite la légendaire collection Walter-Guillaume met en avant le rôle majeur du marchand dans la carrière du peintre italien et la diffusion de son travail dans le marché de l'art dans les années 1920, en France et aux Etats-Unis.
Visite avec Marianne Lohse.
Affiche,
Elvire assise, accoudée à une table, 1919
Saint-Louis, Saint Louis Art Museum
don de Joseph Pulitzer Jr. en mémoire de sa femme, Louise Vauclain Pulitzer, 77:1968/ Image Courtesy of the Saint Louis Art Museum
Assis dans un fauteuil, il pose dans l'atelier de la rue Ravignan. Il porte un chapeau, un gilet noir, un élégant complet, des guêtres. Une fine moustache barre son visage juvénile.
Paul Guillaume, Novo Pilota 1915 Huile sur carton collé sur contre-plaqué parqueté 105 x 75 cm Paris, musée de l'Orangerie © RMN-Grand Palais (Musée de l'Orangerie) / Hervé Lewandowski
" Paul Guillaume a une tête de bon garçon " dira Max Jacob. C'est lui, le poète, qui en 1914 a présenté Modigliani au marchand d'art et collectionneur. Guillaume a vingt trois ans à peine quand sa route croise celle de "Modi ". Devenu son galériste, son mécène et son ami, il ne cessera, jusqu'à sa mort prématurée en 1934 de diffuser et de promouvoir les œuvres du peintre italien en France et Outre-Atlantique, vendant notamment très tôt ses tableaux à Albert Barnes.
L'exposition explore en 54 œuvre et plusieurs passionnants documents d'archives (dont trois poèmes de Modigliani publiés dans la revue de Guillaume " Les Arts à Paris " ) la relation privilégiée qui lie l'artiste et son marchand.
Né dans une famille juive de la bourgeoisie de Libourne, élevé par une mère tolérante et cultivée, Amedeo Modigliani arrive à Paris en 1906. Il a vingt-et-un ans, il est beau comme un prince, tuberculeux, alcoolique et sans le sou. Influencé par sa rencontre avec Brancusi et sa passion pour les arts premiers, il délaisse un temps la peinture pour s'adonner à la sculpture sur pierre.
Dans ses têtes de femmes, on retrouve les formes allongées de ses portraits ultérieurs. Guillaume le persuade de revenir à ses pinceaux. Il lui apporte aussi un soutien financier appréciable en louant pour lui un atelier, rue Ravignan.
Paul Guillaume (1891-1934) Modigliani dans son atelier, rue Ravignan Vers 1915 Photographie 14,5 x 9,6 cm Paris, musée de l'Orangerie, don de M. Alain Bouret © RMN-Grand Palais (Musée de l'Orangerie) / Archives Alain Bouret, image Dominique Couto
Quand la guerre éclate Modigliani qui n'est pas de nationalité française, n'est pas mobilisé. Il a emménagé à Montparnasse et fréquente assidument les artistes étrangers qui comme lui échappent à la conscription : Picasso, Rivera, Kisling, Arp, Soutine. Il fixe sur la toile les traits de nombre de ses amis artistes. Paul Guillaume, réformé pour raison de santé est lui aussi resté à Paris.
Modigliani va dédier cinq portraits à son protecteur dont un très célèbre intitulé Novo Pilota (voir plus haut). Le marchand est représenté en costume, chapeauté, ganté, cravaté comme "un pilote visionnaire de l'avant-garde" . Une véritable consécration pour ce jeune homme qui a fait ses premiers pas dans le monde de l'art un peu par hasard, en découvrant dans une cargaison de caoutchouc des figurines gabonaises qu'il montre dans son garage, à Montmartre. Apollinaire repère vite cet autodidacte au flair incroyable et l'introduit dans les cercles artistiques et littéraires avant-gardistes.
La Belle irlandaise, en gilet et au camée Vers 1917-1918 Huile sur toile 65 x 48,3 cm Cleveland, The Cleveland Museum of Art Image Courtesy of the Cleveland Museum of Art
Pour Modigliani la guerre est une période plutôt fructueuse. Il peint de nombreux portraits de jeunes femmes et de figures connues de la scène parisienne. Son style s'affirme avec ces cous allongés, ces visages ovoïdes, ces yeux sans pupilles.
Portrait de Moïse Kisling 1915 Huile sur toile 37 x 29 cm Italie, Milan, Pinacoteca di Brera © Photo SCALA, Florence - Courtesy of the Ministero Beni e Att. Culturali e del Turismo, Dist. RMN-Grand Palais / image Scala
Dans cette foule magnifique, on croise des inconnus attachants (" Antonia ", " la belle Irlandaise ", " Le jeune apprenti ") mais aussi les femmes qui ont partagé sa vie : l'Anglaise Béatrice Hastings, critique d'art et journaliste (" Madame Pompadour ") et le peintre et modèle Jeanne Hébuterne.
Fille rousse 1915 Huile sur toile 40,5 x 36,5 cm Paris, musée de l'Orangerie © RMN-Grand Palais (Musée de l'Orangerie) / Hervé Lewandowski
En 1916, le Polonais Leopold Zborowski devient le second marchand de " Modi ". On lui doit la première et seule exposition personnelle du peintre, Galerie Berthe Weill. Les quatre nus exposés (les poils pubiens sont apparents) font scandale et sont saisis lors du vernissage par la police pour outrage à la pudeur. Les invités aideront à décrocher les autres toiles de cette manifestation avortée. Inscrit aux Ecoles libres du Nu à Florence puis à Venise, Modigliani a manifesté dès son plus jeune âge un vif intérêt pour ce genre, témoin ce superbe " Nu couché ", un prêt de la Pinacothèque Agnelli de Turin.
Nu couché 1917-18 Huile sur toile 66 x 100 cm Italie, Turin, Pinacoteca Agnelli © Pinacoteca Agnelli, Torino
Dans les derniers mois de la Grande Guerre, alors que Paris subit des raids aériens et que la santé du peintre se dégrade, Zborowski le persuade de partir pour la Côte d'Azur avec Jeanne Hébuterne. Enceinte, elle accouchera à Nice d'une petite fille. De cette période sudiste naissent des portraits d'enfants, d'anonymes, une palette éclaircie, de plus grands formats. De retour à Paris en mai 1919, Modigliani meurt, à trente-cinq ans, le 24 janvier 1920, d'une méningite tuberculeuse. Jeanne Hébuterne,
enceinte de leur deuxième enfant, se suicide deux jours plus tard.
Tête de femme 1911-1913 Sculpture en calcaire 47 x 27 x 31 cm Paris, Centre Pompidou, musée national d'Art moderne/Centre de création industrielle Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMNGrand Palais / Jacqueline Hyd
Plus d'une centaine de toiles ainsi qu'une cinquantaine de dessins et une dizaine de sculptures de l'artiste seraient passés par les mains du marchand. Il vend des oeuvres sorties de l'atelier mais rachète aussi à des collectionneurs et à d'autres galéristes comme Zborowski. Plusieurs de ces œuvres emblématiques figurent sur les murs de ses divers appartements, en bonne place, parmi celles de Picasso, Matisse, Renoir ou Derain.
Marianne Lohse
Jusqu'au 15 janvier 2024
Musée de l'Orangerie (côté Seine) Place de la Concorde 75001 Paris www.musee-orangerie.fr.
On ne manquera pas de voir ou de revoir la collection Walter-Guillaume présentée à l'Orangerie de façon permanente depuis 1984. Cette collection, l'une des plus belles d'Europe, rassemble 148 oeuvres, des années 1860 aux années 1930. Essentiellement constituée par le marchand Paul Guillaume de 1914 à 1934, date de sa mort, elle comportait des centaines de peintures, de l'impressionnisme à l'art moderne ainsi que des pièces d'art africain et océanien. Elle a été remaniée par sa veuve, Domenica remariée à l'architecte Jean Walter qui souhaitait l'orienter vers plus de clacissisme.
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