La formidable mutation  de I'Ile Seguin

 

Sitôt franchie la passerelle piétonne, on découvre le nouveau totem de la "Vallée de la Culture", moins de trois ans après le début d'un chantier hors norme. La Ville de Boulogne a cédé, pour un euro symbolique, le tiers de l'Ile au Département des Hauts de Seine, un partenariat Public-Privé assurant le déroulement du projet, de la conception à l'exploitation. Confiée à l'architecte japonais Shigeru Ban, associé au Français Jean de Gastines, la Seine Musicale épouse les formes de la pointe aval de l'Ile Seguin, en continuité du plan urbain conçu par Jean Nouvel. Tel un paquebot de béton blanc, l'ambitieux bâtiment, long de 324 mètres, s'étend sur 36.500 m². Côté nord, une rue couverte, animée de commerces, de cafés et de restaurants le traverse, depuis le parvis. Le visiteur peut arpenter les coursives, les terrasses ou le grand foyer de 1700 m² (on y verra des expositions).

 

SeineMusicale ©Laurent_Blossier 

 

A l'air libre, deux  longues promenades, l'une côté Boulogne- Billancourt, l'autre côté Meudon. Un escalier monumental mène jusqu'au jardin Bellini, sur le toit: la végétation y reprend celle des coteaux de la Seine. L'auditorium est bien sûr l'élément le plus emblématique avec sa forme ovoïde habillée de bois d'épicéa tressé et sa voile protectrice faite de cellules photovoltaïques. Montée sur rail, cette voile (800m²) est mobile et suit la course du soleil d'où une production énergétique optimum.

 

 

©Laurent Blossier

 

 

Hier à la tête du Châtelet, Jean- Luc Choplin, veut "qu'à la Seine Musicale, toutes les musiques sonnent ensemble: classique, jazz, rock, pop, électro. Mais aussi  que ce lieu devienne une vraie destination ". Un pari démesuré ? On pensait que la Philarmonie, à La Villette, hors des " beaux quartiers", serait un fiasco. C'est une réussite. Choplin dispose de vrais atouts : le fameux auditorium, dans son œuf musical (1150 places réparties sur plusieurs balcons, autour de la scène), une grande salle modulable de 4 000 à 6 000 places, des studios d'enregistrement, un orchestre à demeure,L'Insula Orchestra qui explore la musique classique avec des instruments d'époque, la Musique des Hauts de Seine, chœur d'enfants de l'Opéra de Paris.

 

Auditorium (c) Nicolas Grosmond

 

La Seine Musicale abrite aussi l'Académie Musicale du contre-ténor Philippe Jarroussky qui se propose d'accompagner, gratuitement, de jeunes débutants (chant et pratique instrumentale).

 

 

 

 Présenté fin janvier, un autre projet d'envergure devrait voir le jour en 2021, sur la pointe amont de l'Ile. Un pôle culturel et artistique, imaginé par les architectes catalans de RCR et le cabinet français Calq (Jean- Philippe Le Bœuf), y accueillera en effet un centre d'art polyvalent de 5600 m² dont  la programmation sera assurée par Jérôme Sans, co-fondateur du centre d'art contemporain du Palais de Tokyo.  Plus un cinéma multiplexe (8 salles) ouvrant sur la Seine par de larges baies vitrées. Là aussi, toitures et terrasses seront travaillées comme un vaste tapis végétal par le paysagiste Michel Desvigne, auteur des jardins "sauvages" provisoires.

 

Vue Rooftop Hotel Arty

 

Deuxième entité forte, à la proue  de la pointe amont : un hôtel quatre étoiles, signé des architectes Baumschalager Eberle. Dans chacune des 220 chambres, une œuvre artistique originale, bien dans l'esprit des lieux. Ce projet, "parfaitement en osmose" selon les mots du maire de Boulogne- Billancourt, Jean-Christophe Baguet, plus audacieux que ne le fut l'équipe municipale précédente (on n'est pas près d'oublier le départ de François Pinault) est porté par le groupe immobilier Emerige. Son président, Laurent Dumas, est un collectionneur et un mécène bien connu. L'Ile Seguin  se veut accessible à tous .A l'horizon 2022, la ville prépare une desserte encore enrichie  avec l'ouverture de la station Pont de Sèvres-Ile Seguin du Grand Paris Express. Sans parler d'une desserte fluviale, aujourd'hui à l'étude. De quoi affronter une véritable ruée vers l'Ouest !

 

Last but not least, on apprenait  à la mi-mars qu'une promesse de vente pour la partie centrale de l'Ile avait été signée entre Pierre-Christophe Baguet et Vincent Bolloré, président du Conseil de surveillance de Vivendi. A la clé, d'ici cinq à sept ans, la construction d'un Campus de 150 000 m² doté d'un terrain de football, d'une piscine et d'une salle multisports. Ce campus pourrait regrouper un ensemble d'entreprises actives dans les médias, le numérique et le développement durable.

 

Comment ne pas souhaiter, dans cette incroyable mutation, que l'Ile conserve les traces de ces usines où travaillèrent des centaines de milliers de personnes ? Que le petit pavillon en containers dédié à l'histoire mythique de Renault soit conservé ?

Marianne Lohse