Le Cannet offre à Bonnard son premier musée au monde
Sauvé de la démolition, un ancien hôtel, le Saint- Vianney, abrite au Cannet le premier musée au monde dédié à Pierre Bonnard. Le peintre qui s'est éteint le 23 janvier 1947(il avait quatre vingt ans) repose aux cotés de sa femme, Marthe, dans le cimetière municipal Notre Dame des Anges. Cette ville proche de Cannes, il la découvre dés 1922 avant d'y acquérir, en 1926, à flanc de colline, la maison assez modeste et isolée qui sera son refuge, le Bosquet. Discret, volontiers solitaire, il va s'y recentrer sur l'essentiel : son travail. Inlassablement reprises, plus de trois cents œuvres naitront au Cannet, devenu pour Bonnard ce qu'est Giverny pour Monet ou Aix en Provence pour Cézanne.
«Une longue et douloureuse succession et la mise sous séquestre de l'atelier (Pierre Bonnard n'a pas d'héritiers directs) ont interdit aux historiens comme aux marchands d'apprécier à sa juste mesure la peinture de la maturité» observe le conservateur Véronique Serrano. Il aura fallu huit ans de gestation et l'obstination du député- maire Michèle Tabarot pour que le Musée Bonnard dont l'exceptionnelle collection s'est constituée ex nihilo, grâce à des achats, dons et dépôts privés et publics, ouvre ses portes, le 25 juin dernier.
Mme Tabarot qui est aussi présidente de la Commission des Affaires culturelles et de l'Education de l'Assemblée nationale a su gagner à son projet trois personnalités aujourd'hui disparues: Michel Terrasse, arrière- petit neveu du peintre, Françoise Cachin, directrice des Musées de France et Philippe Meyer, président de la Fondation éponyme.
Réhabilité, le Saint- Vianney, un vestige de la Belle Epoque acquis dés 1998 par la municipalité, offre une superficie d'accrochage de 500 m², une extension hébergeant salle de projection, boutique et atelier pédagogique. Le musée entend bien, comme en écho au maitre, accueillir d'autres artistes. Ce que donne à voir cette première exposition «Bonnard et le Cannet, dans la lumière de la Méditerranée», ce sont des couleurs incandescentes, une nature transposée, magnifiée, rêvée, des scènes intimes où le pinceau poétise les objets les plus prosaïques, des nus sublimes représentant une Marthe éternellement jeune et des carnets, ces précieux agendas Bijou ou Mignon, de petit format dont le peintre ne se séparait jamais.
Pierre Bonnard, Ciel d'orage sur Cannes, 1945, huile sur toile, 51 x 75 cm, collection particulière © Adagp, Paris 2011
Dessins croqués sur le vif, autoportraits, indications météo : Bonnard note beaucoup et dessine sans cesse. Il n'aime guère peindre sur le motif, travaillant ses sujets de mémoire, y compris ses paysages. Par le sentier qui longe sa maison, un chalet au toit pentu entouré d'un jardin en larges restanques, le peintre atteint le canal de la Siagne qui court à travers champs. «Tous les matins» dit-il « je vais dans la montagne. Je fais des croquis, des études. Je regarde ce qui pousse. Un endroit désert. On aperçoit les Alpes enneigées». « Il peint chaque recoin de la villa, du jardin, des environs, variant les angles, profitant des changements de saisons et des arbres en fleurs. « Le Jardin» (1936) est conçu comme un tapis végétal, si luxuriant que l'on semble être dans le jardin d'Eden ou face à une enluminure. «L'escalier du Cannet» (1946) montre à quel point sa peinture ne cesse de s'épanouir, de gagner en liberté.
Pierre Bonnard, L'atelier au mimosa, hiver 1939/octobre 1946 huile sur toile, 127,5 x 127,5 cm Centre Pompidou, musée national d'Art moderne, Centre de création industrielle / (couverture détail)
© Adagp, Paris 2011 © collection Centre Pompidou, dist. RMN / Philippe Migeat
Avec « l'Atelier au mimosa » repris des années durant, de 1939 à 1946, "la lumière transcende l'espace : intérieur et extérieur ne font plus qu'un» note Véronique Serrano. Au Cannet, Bonnard semble avoir banni une fois pour toutes la souffrance de ses tableaux. Elle est bien là, pourtant, encore accrue par la guerre et ses privations. Il a vingt six ans lorsque Marthe de Méligny (qui se nomme en réalité Maria Boursin) devient son modèle et sa compagne. Un amour étrange, tumultueux, va les lier pendant des décennies. Jalouse, nerveusement malade (elle était atteinte, dit-on, d'un complexe de la persécution) Marthe coupe son amant de plusieurs de ses relations. Le peintre vit une brève aventure avec un autre de ses modèles, Renée Monchaty. Qui se suicide en 1925, quelques semaines après que Bonnard se soit, enfin, décidé à épouser Marthe. Est-elle vraiment comme le prétend l'historienne d'art Belinda Thomson « la croix qu'il a accepté loyalement de porter»? Marthe meurt en 1942. Profondément affecté, Bonnard ferme sa chambre à double tour. Restent Le Cannet et toujours, ce merveilleux, ce foisonnant spectacle de la nature.
Pierre Bonnard, La terrasse ensoleillée, 1939-46, huile sur toile, 71 x 236 cm, collection particulière © Adagp, Paris 2011
Marianne Lohse
La villa Le Bosquet
Musée Bonnard
16 boulevard Sadi- Carnot, 06110 Le Cannet
Tel : 0493 94 06 06
D'avril à octobre : 10 heures- 20 heures. Nocturne le jeudi jusqu'à 21 heures.
De novembre à mars : 10 heures- 18 heures.
Voir notre article publié à la veille de l'ouverture du musée. A noter que l'exposition Bonnard en Normandie au Musée des Impressionnismes de Giverny qui s'est terminée le 3 juillet a accueilli 113000 visiteurs !
