Réouverture à Boulogne-Billancourt des Jardins Albert Kahn : le paradis d'un banquier philanthrope

 

C'est un instant rare. Serein. Tout est silence mais pour peu qu'on prête l'oreille, on entendra le croassement des crapauds accoucheurs. La brise glisse sur les pins et les cyprès nains, agite doucement les érables pourpres. Est-on à Boulogne ou à Kyoto ? Restaurés, les deux maisons traditionnelles, le salon de thé, semblent attendre leurs visiteurs. On redécouvre les clôtures de roseaux, les cheminements de galets, le tumulus évoquant le mont Fuji  et plus frétillantes que jamais, les carpes Koï nageant dans l'étang, sous le petit pont rouge.

 

 

 

Bergson, Barrès, Rodin, Elizabeth de Belgique, Einstein ont flâné et médité ici. Aujourd'hui, le jardin japonais n'a rien perdu de son charme.  Union parfaite du végétal et du minéral, les jardins Albert Kahn à Boulogne classés au titre de Monuments Historiques n'ont pas été modifiés au terme de trois ans de travaux. Leur tracé est celui voulu par le banquier philanthrope.

 

En 1895, le financier acquiert une propriété à Boulogne-Billancourt. Il n'aura de cesse de réunir des parcelles de terrains pour  y aménager sur quatre hectares  une mosaïque de jardins, sur le principe du " parc à scènes " en vogue au XIXème siècle. Ce paradis vert sera le lieu de rencontres des intelligentzias française et étrangères jusqu'en 1931. Le planétarium aux  coupoles de verre, avec la roseraie, le fruitier et le verger en forment le centre. C'est le jardin français, rigoureux, classique, le premier réalisé par les paysagistes Henri et Achille Duchêne.

 

 

Toutes les allées convergent vers ce lieu ou divergent vers le jardin anglais délicieusement romantique avec ses tilleuls, sa rivière, son cottage néo-normand et ses pelouses semées de crocus. Puis viennent les trois espaces forestiers: au  nord, la forêt vosgienne peuplée de chênes, de charmes,  de pins sylvestres.

 

 

Né en Alsace, à Marmoutier (Bas- Rhin) Albert Kahn éprouvait beaucoup de plaisir à revoir les frondaisons de son enfance. La couleur des cèdres de l'Atlas, celle des  épicéas du Colorado  donnent son nom à la forêt bleue tandis que les bouleaux aux feuilles automnales d'un jaune lumineux donnent le sien à la forêt dorée .On se perd avec délices entre ces arbres, venus des quatre coins du monde, loin du tumulte de la ville.

Albert Kahn disparut en 1940, à l'âge de quatre vingts ans, totalement ruiné. Il avait pu conserver l'usufruit de sa propriété, rachetée par le Département de la Seine. Avant de mourir, il  fit une dernière promenade dans ses jardins conçus à l'image même du monde plein de quiétude dont il rêvait.

Marianne Lohse

 

 

Albert Kahn sur le balcon de sa banque rue de Richelieu. Plaque noir et blanc de Georges Chevalier, 1914, inv. I 135

 

Une personnalité mystérieuse et attachante

Né dans une famille de commerçants juifs aisés, Albert Kahn  monte à seize ans à Paris. Employé de banque chez les frères Goudchaux, il poursuit ses études sous la houlette d'Henri Bergson, son répétiteur et son ami. Bachelier ès lettres puis ès sciences, licencié en droit, il devient le principal associé des Goudchaux avant, en 1898, enrichi par des placements avisés, d'ouvrir sa propre banque. En 1909, le voilà au Japon, en qualité de délégué d'un groupe de capitalistes français.

Avant de se rendre à Tokyo, c'est la Chine qu'il veut découvrir, accompagné de son chauffeur et- photographe Alain Dutertre. Celui-ci réalise de nombreux clichés stéréotoscopiques, en noir et blanc, prologue au projet le plus ambitieux d'Albert Kahn : les Archives de la Planète.

 

Autochrome d'Auguste Léon

 

Stéphane Passet lui succède ramenant de la nouvelle République Populaire des autochromes en couleurs (une invention des Frères Lumière). Le banquier financera des reportages photographiques dans une cinquantaine de pays et en confiera la coordination  et la direction scientifique au géographe Jean Bruhnes.

Pour lui, " les acteurs de la nouvelle société ne peuvent être que ceux dont la raison s'est développée grâce à l'éducation et à la connaissance non seulement des réalités de leur pays mais aussi de celles du monde ".

Bourses, Comité national d'Etudes sociales et politiques, centres de documentation et de discussion, tout ce qu'il crée  a pout but dans son esprit " de faire comprendre et estimer ce que l'on peut appeler " la civilisation internationale".Et de préserver la paix. De l'homme privé, pudique, discret, fuyant les caméras, on, sait peu de choses. Il ne se maria jamais, renonçant  à fonder une vie de famille pour se dédier à son oeuvre.

La crise boursière de 1929 lui porte un coup fatal. Le département de la Seine acquiert en 1936 la propriété de Boulogne et les collections d'images.  Films et autochromes au nombre de 30.000 sont transmis au département des Hauts de Seine créé en1968 et conservées au musée dont on attend la réouverture prévue pour 2021 avec impatience.

 

 

Autochrome d'Auguste Léon

 

 

Le nouveau Musée

26, 7 millions d'euros ont été investis par le département des Hauts de Seine dans cette rénovation.  Les plans du nouveau Musée Albert Kahn ont été confiés à l'architecte japonais Kengo Kuma. Conçu en forme d'origami et rythmé par de fins écrans, le bâtiment qui s'étend sur 2300m² se veut une synthèse entre l'Orient et l'Occident Outre les collections permanentes et les espaces dédiés aux expositions temporaires, on y trouvera un auditorium, un restaurant et une libraire- boutique. Quant aux neuf bâtiments existants rénovés (salle des plaques, ailes de la serre, grange vosgienne entre autres) ils seront largement accessibles.

 

albert-kahn.hauts-de-seine.fr

Les jardins  sont ouverts du mardi au au vendredi de 11 heures à 18 heures.

Collections en ligne sur collections.albert-kahn.hauts-de-seine.fr