Il y a cent cinquante ans, le 15 avril 1874, s'ouvrait à Paris la première exposition d'artistes désireux avant tout de s'émanciper des circuits officiels. Le Musée d'Orsay porte un regard neuf sur les modestes débuts d'un mouvement qui allait infléchir, pour toujours, le cours de l'histoire de l'art.
Visite avec Marianne Lohse.
Ils sont trente et un, d'âges divers, issus de de milieux sociaux aussi contrastés que le bourgeois Edgar Degas ou l'anarchiste Camille Pissaro. Ils n'ont pas de credo artistique commun. Ce qui rassemble ces artistes, fondateurs d'une société anonyme coopérative, c'est leur désir de proposer une alternative au fameux Salon officiel qui ouvre le 1er mai 1874, au Palais de l'Industrie, sur les Champs Elysées. Son jury est d'une sévérité légendaire. Cézanne, Morisot, Monet y ont tous été refusés. Depuis 1863 et le Salon des Refusés décidé par Napoléon III, les tentatives se sont multipliées pour que des œuvres soient présentées librement, sans être soumises à l'attention d'un jury.
Berthe Morisot (1841-1895) La Lecture ,1873
Huile sur toile, 46 x 71,8 cm
Cleveland, The Cleveland Museum of Art, Gift of the Hanna Fund 1950.89
Image Courtesy of the Cleveland Museum of Art
Dans Paris, en pleine mutation, subsistent encore les ravages de la guerre de 1870 et ceux de la Commune. La Société coopérative a élu domicile chez le photographe Nadar, 35 boulevard des Capucines, à une encablure de l'Opéra dont la construction s'achève.
Félix Nadar (1820-1910) Façade de l'atelier de Nadar, 35, boulevard des Capucines à Paris, Vers 1861
Épreuve sur papier albuminé d'après négatif sur plaque de verre au collodion, 24,4 x 19,1 cm
Paris, Bibliothèque nationale de France, département des estampes et de la photographie, EO-15(1)-FOL Bibliothèque nationale de France
Sylvie Patry, conservatrice générale du Patrimoine et Anne Robbins, conservatrice Peinture au Musée d'Orsay, commissaires de l'exposition, ont reconstitué la façade de l'atelier de Felix Nadar barrée de son immense signature rouge. Sept salles sur deux niveaux, éclairées au gaz et desservies par un ascenseur accueillent la production des artistes que l'on nommera bientôt " impressionnistes ".
Les plus modernes, ceux qui boudent les grands sujets académiques, veulent " peindre le présent ", travaillent sur le motif par touches rapides et enlevées et se passionnent pour le développement du chemin de fer ou celui des loisirs sont loin d'être les plus nombreux mais ils feront couler beaucoup d'encre.
Il n'existe hélas aucune photographie de l'exposition du boulevard des Capucines. Dès la première salle, telle que la montre Orsay (les œuvres sont regroupées par artistes sur des murs tendus comme à l'époque de toile brun rouge) on est séduit par " La Parisienne " et " la Danseuse " de Renoir ou " le Boulevard des Capucines " peint par Monet. Mais comment apprécier le choc visuel provoqué par cet événement sur les visiteurs de 1874 ?
Paul Cézanne (1839-1906)
Une moderne Olympia (détail), entre 1873 et 1874
Huile sur toile, 46,2 x 55,5 cm
Paris, musée d'Orsay
© Musée d'Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
La " Moderne Olympia " de Cézanne " suffoque" le public par son "inconvenance": un voyeur habillé de noir observe dans une maison close une prostituée dénudée. La toile est accrochée non loin d'une paisible scène de la vie quotidienne : " Le Berceau " de Berthe Morisot, seule femme du groupe. Il y a là lit-on dans la presse " une forte quantité de croûtes ". On s'étonne de l'aspect inachevé, voire bâclé de certaines œuvres. Dans " Charivari" , Louis Leroy éreinte l'événement. Le paysage de Pissaro, " Gelée blanche " est qualifié de " gratture de palette" . Dans cet article titré " L'exposition des Impressionnistes ", Leroy à propos de " Impression, Soleil levant " de Monet (photo de l'affiche) s'exclame : " le papier peint à l'état embryonnaire est encore plus fait que cette marine là ! " Jules Castagnary, lui, apprécie et le fait savoir. Dans " Le Siècle " il écrit à propos des exposants : " ils sont impressionnistes en ce sens qu'ils rendent non le paysage mais la sensation produite par le paysage".
L'exposition du boulevard des Capucines est un fiasco commercial. La recette ne permet pas de rentrer dans les frais. Seules quatre œuvres dont " Impression, Soleil levant " ont été vendues. La coopérative est dissoute. " Le sarcasme de Leroy nourrira la légende " observe Sylvie Patry.
Les commissaires n'ont pas hésité à dédier deux salles à l'évocation du Salon officiel de 1874 avec ses tableaux historiques bien léchés mais aussi quelques œuvres que l'on aurait pu accrocher boulevard des Capucines comme " Le chemin de fer " de Manet. Sur les 31 exposants de l'atelier Nadar douze sont aussi présents au Salon officiel, pour préserver leur chance d'être vus et vendus. " Les Impressionnistes ne sont pas aussi radicaux qu'on a pu le penser " souligne Anne Robbins.
Lors de leur troisième exposition, le 4 avril 1877, largement financée par Caillebotte (la précédente, en 1876 a aussi été un échec commercial) 18 artistes présentent 245 œuvres dans un vaste appartement, au 6 de la rue le Peletier. L'idée s'est installée qu'un mouvement nouveau est né. Pour la première fois, ces avant- gardistes se proclament impressionnistes. Et une revue, " L'Impressionniste: journal d'art " est même publiée.
Auguste Renoir (1841-1919) Bal du moulin de la Galette, 1876
Huile sur toile: 131,5 x 176,5 cm
Paris, Musée d'Orsay
© Musée d'Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
Zola encense cet accrochage. Avec un véritable coup de foudre pour le " Bal du Moulin de la Galette " de Renoir, lumineuse évocation hédoniste. La page de la défaite et de la guerre civile semble définitivement tournée.
Marianne Lohse
Musée d'Orsay. Esplanade Valéry Giscard d'Estaing 75007 Paris. Jusqu'au 14 juillet 2024.
musee-orsay.fr Exposition réalisée avec la National Gallery of Art, Washington où elle sera présentée du 8 septembre 2024 au 19 janvier 2025.
A voir également, dans le pavillon Amont du musée, l'expérience de réalité virtuelle " Un soir avec les impressionnistes " qui propose de revivre en quarante minutes environ le vernissage du boulevard des Capucines et le Paris de 1874.
Cet anniversaire n'est pas réservé aux seuls Parisiens puisque de nombreux musées, en région, recevront et exposeront 178 chefs- d'oeuvre empruntés à la collection d'Orsay.
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