Ambitieux, tapageur, farouchement indépendant, Courbet demeure avant tout un Franc-Comtois fidèle à ses racines. Poursuivi pour ses activités pendant la Commune et exilé en Suisse, il ne séparera jamais de son atelier d'Ornans. Le maître est à nouveau chez lui. Le musée qui lui est dédié dans sa ville natale accueille jusqu'au 14 octobre 2013 une exposition exceptionnelle: «Courbet-Cézanne, la vérité en peinture».
Visite avec Marianne Lohse ©
Photos : JF.Lami / OT Ornans Loue Lison CDT du Doubs (sauf mention particulière)
Gustave Courbet : Paysage aux environs d'Ornans
Venues des quatre coins du monde, une cinquantaine d'œuvres mettent en parallèle les domaines communs aux deux artistes. Ils ne se sont pas rencontrés mais Cézanne n'a jamais caché son admiration pour son aîné auquel il emprunte, vers 1860, usage du couteau à palette, couleurs sombres et pâte épaisse: «son grand apport» dit-il «c'est l'entrée lyrique de la nature, de l'odeur des feuilles mouillées, des parois moussues de la forêt dans la peinture du XIXème siècle. Et la neige! Il peint la neige comme personne».
Paul Cézanne : Victor Chocquet assis, 1877, huile sur toile, Colombus museum of Art, Ohio, Howald Fund Purchase 1950
Oubliés la détestation, le rejet, subis par Courbet à Ornans, après la Commune. Trop de violence, de sang versé. Sans parler de cette Colonne Vendôme qu'on l'accuse d'avoir fait déboulonner… La ville est alors aux mains des conservateurs. Il faudra attendre 1971 pour qu'un musée s'installe dans une demeure du XVIIIème siècle, l'hôtel Hébert, grâce à l'Association des Amis de Courbet et à l'obstination du peintre Robert Fernier.
Devenu propriétaire des lieux, le Conseil général du Doubs que préside Claude Jeannerot, entreprend sa rénovation. A partir du musée, on valorise les sites du département aimés et peints par le maître. Le projet «Pays de Courbet, Pays d'Artiste» prend corps. Agrandi et restructuré, le musée Gustave Courbet englobe aujourd‘hui le bel Hôtel Hébert où le peintre ne serait pas né mais aurait vécu une partie de son enfance. Aîné et unique garçon d'une fratrie de quatre enfants, il voit le jour en 1819, dans une famille unie et aisée. Son père, Régis Courbet, est un prospère propriétaire terrien, sa mère, Sylvie Oudot est la fille d'un négociant en vins, un ancien révolutionnaire aux opinions anti-cléricales bien tranchées. Le républicanisme est de règle chez les Courbet. C'est chez ses grands parents maternels, Place des Iles Basses (rebaptisée Place Courbet) que le peintre aménage son premier atelier. Il a vingt ans lorsqu'il arrive à Paris. Très vite, formé hors des circuits officiels, il affirme son ambition de jouer un rôle de premier plan, de peindre le vrai et la société qui l'entoure.
Gustave Courbet : Retour de Chasse Musée Départemental Gustave Courbet, Ornans
Au Salon de 1849, avec «Une après-dînée à Ornans» qui représente «des gens ordinaires dans leur vie quotidienne», il obtient une médaille et fait une entrée fracassante sur la scène artistique. D'autres œuvres, en revanche, provoqueront incompréhension et scandale comme « Les casseurs de pierres» et plus tard «Un enterrement à Ornans»(1850-51).Cette immense toile (3m de haut sur 6m de large) met en scène des personnages grandeur nature, parents, familiers, notables alors que la tradition académique veut que ce type de format soit réservé aux sujets historiques voire bibliques…
Violemment attaqué, Courbet réplique dans la presse, clarifiant son engagement en faveur de ce qu'il nomme déjà le «réalisme». En 1853, «Les Baigneuses » et «La Fileuse endormie» créent un nouvel esclandre. Elles sont achetées par le collectionneur Alfred Bruyas qui devient le mécène de l'artiste.
Gustave Courbet : Portrait d'Alfred Bruyas, dit Tableau-Solution, 1853, huile sur toile, musée Fabre, Montpellier Agglomération; photo : Freděric Jaulmes
Agitateur-né, Courbet expose «Le retour de la Conférence» qui montre des prêtres éméchés sur une route de campagne. Jugée immorale, l'oeuvre a disparu, vraisemblablement détruite. On le croit assagi. C'est alors qu'il peint pour le collectionneur Khalil Bey son tableau le plus provocant, longtemps inconnu du grand public: « L'origine du Monde»…
Il faut prendre le temps de flâner le long de la Loue dans les pas de Gustave. La rivière est d'une douceur irrésistible avec ses maisons suspendues, ses jardins étroits. Opalescente, l'eau a sous la lumière rasante, des reflets d'ardoise. Plusieurs ponts l'enjambent.
Vers 1837, Gustave peindra le Pont de Nahin. Coiffée d'un dôme franc-comtois, l'Eglise Saint Laurent se détache sur fond de rochers. Elle figure au cœur de «Vue du clocher d'Ornans» et de «Vue d'Ornans». La petite cité ne manque pas de belles bâtisses XVIème, XVIIème et XVIIIème siècle mais c'est sur la place principale que l'on s'attarde volontiers. Une statue en fonte, celle d'un jeune garçon maniant un trident, y orne une fontaine. La première sculpture réalisée par Courbet pour sa ville (1864). L'enfant est représenté pêchant des chavots, poissons qui peuplent alors la Loue. Sa nudité choque. Une pétition circule. Après les événements de la Commune, la statue est mutilée puis déposée. Courbet en est profondément blessé. En 1882, on replacera sur la fontaine un second tirage en fonte du «Pêcheur de chavots» offert par sa sœur, Juliette. Sur la route de Besançon, un vaste bâtiment acquis par le Département est en cours de restauration. Le peintre y travaillait lors de ses fréquents séjours. C'est dans cet atelier où deux fresques ont été mises à jour que fut peint l'Hallali du cerf.
A trente cinq ans, Courbet est célèbre. A l'étranger, on le reçoit avec faste. La manifestation qu'il a organisée lors de l'Exposition Universelle de 1855, dans un pavillon indépendant où figure une pièce emblématique, «L'Atelier du peintre», a fait grand bruit. C'est à ce moment là qu'il délaisse un peu les grands formats à fort impact social, lui, «le peintre du peuple», pour se concentrer sur les paysages, comme si dans ce genre qui triomphe sous le Second Empire, il se retrouvait pleinement lui-même. Ces grottes, ces falaises, ces sources, lui sont familières depuis l'enfance. «Je connais mon pays» dit-il « je le peins… Allez y voir, vous retrouverez tous mes tableaux».
La source du Lison
Il court la campagne, pêche et chasse depuis toujours. Sa correspondance abonde en anecdotes sur ses exploits cynégétiques. Parfois, on le voit dans une carriole attelée d'un âne. Il l'a nommé Gérôme par dérision pour son rival que protège l'Institut. Suivons le jusqu'à la source de La Loue représentée 15 fois. Une nature spectaculaire, dramatique, aux tonalités sourdes envahit le tableau.
«Son amitiés avec le géologue Jules Marcou lui a assurément transmis une connaissance très fine des roches et des terrains, des hauts plateaux calcaires, du verdoiement des herbes dans les endroits encaissés» souligne l'historien d'art Thomas Schlesser.
Après le profond canyon de sa haute vallée, La Loue, résurgence du Doubs, dégringole de 229 m en quelques km. Depuis Ornans, de charmants villages se succèdent: Vuillafans, Lods, Mouthier-Haute-Pierre. Les vignobles alentour ont disparu mais de belles maisons de vignerons subsistent, souvent avec leur réseau complexe de caves voûtées encore équipées de leurs pressoirs. A Mouthier-Haute-Pierre, on pénètre dans les gorges de Nouailles. Depuis Ouhans, on rejoint enfin la source: elle jaillit d'une énorme grotte, sous un cirque rocheux en a- pic de 150m. Sublime!
La source de la Loue
En quittant Ornans par l'ouest, en direction de Scey- Maisières, arrêtez- vous au Miroir de Scey. Apaisée, La Loue offre un plan d'eau étale dans lequel se reflète l'un des 300 paysages franc-comtois brossés par Courbet.
Notre périple s'achève à Flagey. On rejoint ce village depuis Scey- Maisières, en prenant la direction d'Ornans. Enfant, Courbet y résidait régulièrement, dans la ferme familiale. Restaurée, cette superbe bâtisse du XVIIIème siècle que jouxte un agréable jardin, est ouverte au public depuis 2009.Elle accueille concerts, expositions, conférences, représentations théâtrales.
En 1871, après ses six mois d'emprisonnement à la prison de Sainte-Pélagie pour la destruction de la colonne Vendôme(en 1873 il sera condamné à rembourser les frais de sa reconstruction), Courbet confiait avoir revu en pensée tous les lieux où il avait grandi. Nul doute que la prairie abritant le chêne de Flagey en ait fait partie. Peint en 1864, «le Chêne de Flagey» avait quitté la France pour les Etats Unis avant de devenir la propriété d'un collectionneur japonais. Il faudra rassembler quatre millions d'euros pour l'acquérir, après sa mise en vente à New York, chez Sotheby's. Le Conseil général du Doubs se mobilise, une souscription est lancée. L'Etat, des collectivités territoriales, des mécènes s'engagent dans le projet. L'aventure devient exemplaire quand 1500 souscripteurs (en majorité originaires du Doubs) versent leur obole permettant aux acquéreurs de réunir 265.000€ de plus. Depuis le 9 mars dernier, «Le chêne de Flagey» a trouvé sa place au Musée d'Ornans. Belle revanche pour ce géant qui consuma ses dernières années en procès et ne rêvait en exil que d'une chose : retrouver sa terre natale.
chêne de Flagey crédit CG25 chêne de flagey ©Marc Loukachine CG25
intérieur du Musée Courbet à Ornans ©CRTFC
Ornans depuis la roche fournieche
Pratique
S'informer :
Se loger.
Le Jardin de Gustave. Chez Marylène Rigoulot, cela sent bon la cire, les roses, le linge fraichement repassé. Dans le grand hall de cette demeure 19ème, en plein cœur d'Ornans, un bel escalier s'élance vers les quatre chambres. Une maison d'hôtes comme on en rêve avec ses patines ocre jaune, ses rayures gustaviennes, ses rideaux de lin, ses lustres extraordinaires, tout droit sortis d'un film de Cocteau. Marylène qui sait tout faire: cuisiner, bricoler, dénicher d'incroyables trouvailles dans les vide-greniers, tenait un restaurant à Besançon. On flâne avec bonheur dans son jardin qui descend jusqu'au bord de la Loue ; on se rassasie de ses merveilleux Comté ; on part à regret.
28 rue Edouard Bastide 25290 Ornans. De 78 € à 98 €. Table d'hôtes.
Tels : 03 81 62 21 47 et 06 37 47 75 48 - www.lejardindegustave.fr
Ferme Courbet. A 12 km d'Ornans, la ferme familiale de Flagey, point de départ des randonnées sur les traces de Courbet, a ouvert en 2010 trois chambres d'hôtes dont une pour personne à mobilité réduite. Spacieuses et claires, sobrement décorées de meubles anciens et de boutis pastel, elles portent joliment les noms de chambre aux Amants, chambre au Cerf, chambre à l'Autoportrait. Dépourvue de sanitaire, la chambre dite de Courbet (le peintre y aurait dormi enfant) peut être réservée en complément d'une autre, contigüe. Un café-librairie, le Café de Juliette, une grange dont on a précieusement préservé la magnifique charpente et qui abrite tout au long de l'année des manifestations culturelles, un agréable jardin: l'été à la ferme, quelle belle idée! 28 Grand Rue, 25330 Flagey. De 80€ à105€. Tel: 03 81 53 03 60 www.musee-courbet.fr
Se restaurer.
La Cascade. Une vue époustouflante sur les gorges de Nouailles, un accueil chaleureux et des plats issus de la tradition franc-comtoise revisités par Nelly Euvrard avec le sens de l'équilibre d'une fine cuisinière. Sa terrine de cèpes chaude aux morilles, son cochon «Duroc de bataille» en deux cuissons, rôti et confit sont irrésistibles. Réservez une petite place pour les fromages du cru : s'en priver serait un crime. 2 route des Gorges de Nouailles 25920 Mouthiers-Haute-Pierre. Tel: 03 81 60 95 30. www.hotel-lacascade.fr
La Table de Gustave. Récemment rénovée, simple et spacieuse, une étape connue, avant d'aller visiter le Musée Gustave Courbet qui se trouve à deux pas. Saucisse de Morteau ou crôutes aux morilles ? Morbier ou Cancoillotte ? Et pour finir, pourquoi pas des griottines? 11 rue Jacques Gervais 25290 Ornans. Tel: 03 81 62 16 79 www.latabledegustave.fr
Marianne Lohse
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