Reflet d'une société excentrique, follement raffinée, «Beauté, morale et volupté dans l'Angleterre d'Oscar Wilde» mêle, dans la meilleure tradition du Victoria & Albert Museum de Londres, peinture et arts décoratifs, Wilde se faisant le porte- parole et le gourou de l' «Aesthetic Movement» (Mouvement Esthétique). Cette exposition du V& A réinventée de façon éblouissante, à Orsay, par le conservateur Yves Badetz, propose l'exploration d'un style qui s'épanouit entre 1865 et 1895. Prônant «l'art pour l'art», un cri de ralliement popularisé dés 1835 par Gautier dans sa préface de «Mademoiselle de Maupin», des artistes très divers multiplient les incursions dans quantité de domaines.
Visite avec Marianne Lohse
Tous sont en rébellion contre la morale et le goût étriqués de l'ère victorienne. Ce qu'ils créent n'a d'autre vocation que la beauté. Portraits, tableaux allégoriques, poésies, mais aussi meubles, céramiques, textiles, papiers peints, orfèvrerie, bijoux, vêtements: le parcours de l'exposition, sur une scénographie imaginée par Nathalie Crinière et scandée par des aphorismes de Wilde est enchanteur.
Ignorés voire fustigés à leurs débuts, des peintres comme Dante Gabriele Rossetti, Edward Burne-Jones ou James Mc Neill Whistler s'affirment grâce aux expositions que leur consacre, en marge de la Royal Academy, la Grovesnor Gallery, équivalent londonien du Salon des Refusés.
Albert Moore (1841-1893)
Solstice d'été – (Midsummer), 1887
Huile sur toile, 194 x 178 cm
Bournemouth, The Russell-Cotes Art Gallery and Museum
© Photograph reproduced with the kind permission of The Russell-Cotes Art Gallery & Museum,
Bournemouth
D'une sensualité puissante, leurs œuvres s'inspirent de l'art de la Renaissance, en particulier de la peinture vénitienne, de la Grèce antique, d'un Japon fantasmé. Les créatures langoureuses, en cheveux et sans corset qui hantent leurs tableaux sont vêtues de robes plissées à l'antique, comme dans l'attente d'une émancipation à venir…
Sir Edward Burne-Jones (1833-1898)
Laus Veneris, 1873-1878
Huile avec peinture à l'or sur toile , 154 x 216 cm
Newcastle-upon-Tyne, Laing Art Gallery
© Tyne & Wear Archives & Museums
John William Waterhouse (1849-1917)
Sainte Cécile – (Saint Cecilia), 1895
Huile sur toile, 123,2 x 200,7 cm
Collection particulière, c/o Christie's
© Christie's Images / Bridgeman Art Library
Assez rapidement, ce culte de la beauté s'érige en véritable mode de vie: «On devrait soit être une œuvre d'art, soit en porter une» écrit Oscar Wilde dont on ne manquera pas d'admirer la photographie en costume de velours et bas de soie.
Napoleon Sarony (1821-1896), Oscar Wilde, 1882
Épreuve sur papier albuminé, 30,5 x 18,4 cm
Londres, National Portrait Gallery
© National Portrait Gallery, London
Il n'est pas d'art mineur pour les artistes de l' « Aesthetic Movement », adoptés par un cercle restreint d'extravagants « happy few » puis par une riche bourgeoisie montante. Ainsi, l'architecte Edward William Godwin, un des «esthètes», devient-il le conseiller, pour le département vêtements, du nouveau magasin Liberty's, sur Regent Street et Edward Burne-Jones n'hésite-t-il pas à peindre un buffet aussi bien qu'un vitrail.
Edward William Godwin (1833-1886) Harmonie en jaune et or, le buffet « Papillon » – (Harmony in Yellow and Gold, The Butterfly Cabinet), 1877-1878 Édité par William Watt
Huile sur acajou, avec carreaux jaunes et moulages en cuivre et verre
Glasgow, The Hunterian Art Gallery, University of Glasgow
© The Hunterian Museum & Art gallery, University of Glasgow 2011
Sir Edward Burne-Jones (1833-1898), L'Adoration des Mages, 1904
Tapisserie haute lisse, laine et soie sur trame de coton, 258 x 377,5 cm Paris, musée d'Orsay, don de M. Pierre Bergé, 2009
© Musée d'Orsay, dist. RMN / Patrice Schmidt
De généreux clients vont décorer leurs intérieurs à la manière des esthètes: la Red House de Morris, la Tudor House de Rossetti, la White House de Whistler fascinent.
Dans les années 1890, le procès et l'emprisonnement pour homosexualité d'Oscar Wilde portent un coup fatal au mouvement. Mais la nouvelle esthétique ne meurt pas pour autant comme en témoignent les papiers peints et textiles de William Morris, toujours fabriqués. Ou le design des théières de Christopher Dresser, d'une stupéfiante modernité.
Christopher Dresser (1834-1904)
Théière Diamant, vers 1879
Fabriqué par James Dixon & Sons, Sheffield
Argent et nickel électrogalvanisés, poignée en ébène
Londres, Victoria and Albert Museum
© V&A Images
Christopher Dresser (1834-1904)
Théière modèle Shibayama, 1878
Fabriqué par Hukin & Heath, Birmingham
Argent, ivoire et émail orné de turquoises, jonc
Londres, Victoria and Albert Museum
© V&A Images
Marianne Lohse
Musée d'Orsay. Jusqu'au 15 janvier 2012.
Renseignements : 01 40 49 48 14 wwww.musee-orsay.fr
L'exposition sera ensuite présentée au Musée de la Légion d'honneur de San Francisco.
Le Nouvel Orsay
Le 20 octobre, au terme de deux ans de travaux, le public va découvrir le Nouvel Orsay. Une rénovation (coût : 12 millions d'euros) menée par Guy Cogeval, président des établissements d'Orsay et de l'Orangerie qui bouscule singulièrement l'aménagement initial conçu, en 1986, par l'architecte italienne Gae Aulenti. Transformer en musée une gare construite, en 1900, pour l'Exposition Universelle, était déjà une gageure. Cette fois encore Orsay va frapper un grand coup.
Pendant les travaux, il n'y a pas eu de fermeture (on a clôturé certains espaces) et le chantier a pu se déployer sur 6500m².Les liftings de la Galerie des Impressionnistes, au cinquième étage, des cabinets mitoyens dédiés aux fonds de dessins et de photographies et de la salle d'exposition temporaire ont été confiés à l'agence Wilmotte. On n'a pas fini de parler des cimaises gris anthracite, du parquet remplaçant la pierre et de l'éclairage ultra- sophistiqué!
Au nord-est du musée, côté Seine, le Pavillon Amont a été aménagé par l'Atelier de l'Île dans des locaux quasi vides. Il accueillera, au rez- de- chaussée, les grands formats de Gustave Courbet et, sur trois niveaux la superbe collection d'arts décoratifs du musée dont plusieurs acquisitions récentes. Etape indispensable pour ceux qui frôleront l'overdose de beauté : le Café des Hauteurs, derrière l'une des horloges monumentales, revampé par les designers brésiliens, Fernando et Humberto Campana.
M.L.
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