Au Musée Maillol à Paris : Murano, chefs d'œuvre de verre, de la Renaissance au XXIème siècle

 
«Charogne», l'extraordinaire pièce de Javier Pérez dont les corbeaux naturalisés semblent s'acharner sur un lustre brisé au sol, «Web», la toile d'araignée transparente de Mona Hatoum ou «Iago's mirror», le miroir noir de Fred Wilson jouent avec notre vision emblématique de Murano. Sans parler de «Géométrie amoureuse», le très beau totem améthyste et noir du Français Jean- Michel Othoniel qui, depuis dix ans, travaille sur l'île avec le maître-verrier Oscar Zanetti et, à Marseille, avec le Cirva (centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques).

Mona Hatoum : "Web"

 2006 H 515,0 cm ; L 2 100,0 cm ; P 1 325,0 cm
Sphère de cristal et fil métallique
San Gimignano, Courtesy Galleria Continua
©Photo Ela Bialkowska

Carrona (charogne) de Javier Pérez

Verre et corbeaux naturalisés
H 120,0 cm ; L 235,0 cm ; P 300,0 cm
Produced by Berengo Studio and Venice Projects
©Francesco Allegretto

Oubliez la médiocre bimbeloterie, souvent de provenance asiatique qui à Venise, encombre les boutiques pour touristes. Et redécouvrez en sept siècles incandescents de l'art du feu et en deux cents chefs d'œuvre les grands souffleurs vénitiens. Certaines de ces pièces, prêtées par des musées mais aussi par des collectionneurs privés, n'ont jamais été vues en France. On reste confondu devant ces prouesses techniques, ces outils inchangés, cette transmission des talents (cinq des fabriques de Murano ont plus de trois cents ans), ces mystérieux secrets consignés dans de précieux ricettari (recettes).

Calice au « Triomphe de la Justice »
XVe siècle
H 22,0 cm ; L 13,5 cm
Florence, Museo del Bargello/Istituti museali della
Soprintendenza Speciale per il Polo Museale Fiorentino
©Su concessione del Ministero per i Beni e le Attività Culturali 

Héritière de la verrerie romaine, la verrerie vénitienne se développe dés le XII° siècle et devient l'industrie la plus importante de la Sérénissime, avec les chantiers navals. Les fucine (fours) sont un siècle plus tard transférés sur l'ile de Murano en raison des risques d'incendie et pour un contrôle encore plus strict des maîtres-verriers: il leur est interdit de quitter Venise ou d'exporter leur savoir-faire sous peine d'être condamnés à mort. La production va bientôt éclipser celle du Levant et dominer le marché européen pendant plusieurs siècles.

Coupe nuptiale en "lattimo" avec figure féminine et joueur de luth

 1500 env.
H 12,0 cm
Prague, National Museum
©National Museum, Prague, Czech Republic

«La Renaissance sera pour le verre, comme pour l'ensemble des arts en Italie, un âge d'or » souligne Rosa Barovier-Mentasti, commissaire de l'exposition avec Cristina Tonini et Olivier Kaeppelin. C'est au XV° siècle qu'un ancêtre de Mme Barovier-Mentasti, Angelo Barovier invente le «cristallo», aussi transparent et léger que l'air, le «lattimo», un verre blanc opaque, ainsi qu'un verre «calcedonio» imitant l'agate. Coupes enjolivées d'émaux, de feuilles d'or ou de figures peintes, gourdes filigranées, bols gravés à la pointe de diamant, seaux craquelés, gobelets ornés de blasons : on ne sait où donner du regard. Ces objets sont souvent repris dans des peintures de l'époque par Piero di Cosimo ou Le Caravage.

Ercole Barovier : Vase à "Murine" transparentes

 1925
Collection particulière
©Robert Lorenzson

On rêve de ces cours raffinées, de ces somptueux banquets où figuraient ces merveilles. Aux XVII° et XVII° siècles, les verriers vénitiens conservent leur prestige: voir ces miroirs aux encadrements sophistiqués, ces lustres de cristal ou ciocche immortalisés dans des tableaux de Francesco Guardi. L'exposition révèle aussi des surtouts de table, un mobilier tel ce fauteuil signé Giuseppe Briati incrusté de plaques de verre bleu cobalt époustouflants..

Fauteuil avec applications en verre

XVIIIe siècle
H 117,0 cm ; L 72,0 cm
Venise, Museo del Vetro
©Archivio Fotografico FMCV 

Après des années de magnificence, Venise subit, au XIX° siècle, la concurrence du verre de Bohème. La production ne sera vraiment relancée qu'à partir de 1860. Le patrimoine muranais est revisité et réinterprété. Le «vetro murrino» inspiré du verre mosaïque à motifs géométriques de l'antiquité romaine est remis à l'honneur par Vincenzo Moretti. Mais il faudra attendre les années 20 pour que réapparaisse un style vraiment novateur. Directeur artistique de la maison Cappelin, Venini &C, Vittorio Zecchin propose une collection d'objets en verre très fin, monochromes, inspirés de ceux en cristal que l'on voit dans les toiles du Titien ou de Veronese.

Vase Véronese Vittorio Zecchin pour Venini

1921
H 30,0 cm ; L 16,0 cm
Collection particulière
©DR 

Maillol présente une incroyable déclinaison, en dix versions, signées entre autres, Richard Meier, Matteo Thun, Massimiliano Fuksas ou Mimmo Paladino du fameux vase Veronese crée en 1921 par Zecchin. Il faut aussi parler de Peggy Guggenheim qui n'hésitait pas à produire des œuvres de Calder, en collaboration avec le verrier Egidio Costantini. En 1953, Costantini, pour attirer des artistes à Murano, crée le Centro Studio Pittori nell'Arte del Vitro rebaptisé Fucina degli Angeli (la Forge des Anges) par Jean Cocteau. On verra y travailler des artistes comme Lucio Fontana, Marc Chagall ou Jean Arp.

Jean Arp :  "Figure"

1964, H 81 ; L 23 cm
Collection Taevernier,
Courtesy de la galerie le Minotaure
©DR/ADAGP, Paris 2013 

Sublime !

Marianne Lohse

Jusqu'au 28 juillet. Musée Maillol Fondation Dina Verny,

59- 61 rue de Grenelle 75OO7 Paris

tél : 01 42 22 59 58

www.museemaillol.com