Pont-Aven (Finistère) : Mathurin Méheut, jusqu'au 31 décembre 2022
"Dès mon enfance, j'ai subi l'attraction de l'océan (...) Je devais y consacrer ma vie" : c'est Mathurin Méheut (1882-1958) qui a dit cela, cette phrase est notée sur les parois bleues du parcours de l'exposition. Si la place de Mathurin Méheut dans l'histoire générale de l'art demande encore à être reconsidérée, il fait figure d'artiste majeur du XXe siècle en Bretagne. Il a tracé une voie artistique personnelle et originale tout au long de sa vie. L'artiste est tout à la fois prolifique et inclassable. C'est aussi un inconditionel de la Bretagne. Le musée de Pont-Aven (Finistère) propose de (re)découvrir son travail jusqu'au 31 décembre 2022. Cette exposition fait partie de "L'été Méheut en Bretagne" avec également l'ouverture du nouveau Musée Mathurin Méheut à Lamballe (Côtes d'Armor) en juin 2022.
Reportage : Claire Vuillemin ©
Excepté en Bretagne où il est né, cet artiste de la première moitié du XXe siècle est peu connu. À la fois dessinateur, peintre, illustrateur, décorateur, sculpteur et graveur, Mathurin Méheut puise son inspiration dans les paysages bretons et s'attache aux activités des marins.
Méheut aime représenter les travailleurs de la mer pour montrer la pénibilité de leur quotidien.
Cotriade et filets bleus [Concarneau]
Caséine sur toile - non daté - H. 116 ; l. 174 cm
Collection particulière © Bernard Galéron / ADAGP, Paris 2022
D'ailleurs, le nom de l'exposition de Pont-Aven consacré à Mathurin Méheut est très bien trouvé : "Arpenteur de la Bretagne". C'est exactement cela. Les coups de crayon du peintre breton nous plongent au coeur d'un monde marin et paysan trop souvent oublié. L'artiste s'attache à mettre en lumière la société bretonne travailleuse et pieuse de la première moitié du XXe siècle.
Sa création est foisonnante tant par la quantité d'œuvres produites que par la diversité des techniques expérimentées.
Fendeur d'ardoises dans la Montagne Noire
Crayon gras noir et gouache - non daté - H. 42 ; l. 59 cm
Musée Mathurin Méheut, Lamballe-Armor
© Musée Mathurin Méheut, Lamballe-Armor / ADAGP, Paris 2022
Le musée de Pont-Aven nous fait redécouvrir cet artiste amoureux de la Bretagne à travers la présentation d'œuvres emblématiques mais aussi d'œuvres inédites émanant de collections publiques et de collections privées.
Mathurin Méheut est né à Lamballe (Côtes d'Armor). Très tôt, il manifeste un véritable talent artistique. A 20 ans, il obtient brillamment son diplôme de l'École des Beaux-Arts de Rennes et s'inscrit à l'École nationale des arts décoratifs à Paris, tout en suivant les cours d'Eugène Grasset à l'École normale d'enseignement du dessin.
Il est très talentueux; il collabore très vite à la prestigieuse revue Art et décoration comme peintre décorateur et en 1910, il se voit confier l'illustration de Étude de la mer, flore et faune de la Manche et de l'Océan. Un travail qui le conduit pour deux ans à la station de biologie marine de Roscoff. Le livre, publié en 1913 le fait accéder à la notoriété.
Le musée des Arts décoratifs lui consacre alors une première exposition. Pendant la Première Guerre mondiale, Méheut voyage et son style évolue. C'est à son retour qu'il s'essaie aux arts appliqués.
En 1914, il part au Japon et à Hawaï, mais la guerre écourte son voyage. En 1919-1920 il s'installe en famille en Pays Bigouden, prend contact avec le faïencier Joseph Henriot et expérimente de nouvelles techniques, comme la linogravure et découvre aussi des motifs inédits. Ce second séjour finistérien va initier la matrice de son œuvre bretonne.
En 1924, il s'installe définitivement à Paris, enseigne aux écoles Boulle et Estienne et voyage au gré des commandes : États-Unis, Crète, Côte d'Azur... Mais il revient en Bretagne souvent, soit pour travailler chez Henriot soit pour engranger d'innombrables dessins en vue de travaux d'illustration, de décoration, de céramique, de gravure ou de sculpture.
Il dessine la Pointe du Raz en 1923, Brest en 1928, Ouessant en 1934... L'animation des ports de Cornouaille, la foule des pardons, des foires et des marchés, les costumes des jours de fête et de la vie quotidienne, les gestes des artisans au travail... deviennent des objets d'enquête et parfois de reportage.
Paludiers un soir d'orage
Caséine sur toile - 1929 -H. 137 ; l. 153 cm
Collection particulière - © Bernard Galéron / ADAGP, Paris 2022
Méheut a également réalisé de nombreuses illustrations pour des manuels ainsi que des supports publicitaires qui lui permettaient de gagner sa vie.
Il se voit comme un ethnographe et mène ce qu'il appelle des enquêtes sur le terrain à chaque fois qu'il doit répondre à une commande pour illustrer un livre par exemple.
Le Cirque
Caséine sur toile - 1929 - H. 88 ; l. 137 cm
Collection particulière - © Bernard Galéron / ADAGP, Paris 2022
En parcourant l'exposition, j'ai été frappée par l'étendue de l'art de Méheut : peinture, sculpture, céramique, estampe...
Il y a une "touche" Mathurin Méheut. J'aime ses bleus et cette petite touche de fantaisie avec un rouge vif sur des coiffes par exemple. Son talent de coloriste est indéniable. J'aime ses audaces dans la composition et ses choix techniques (la peinture à la caséine par exemple qu'il préférait à l'huile).
Mais ce qui m'a le plus charmée ce sont les lettres de Méheut. Il a entretenu une correspondance de près de 3000 missives avec Yvonne Jean-Haffen, l'une de ses élèves, et avait pris pour habitude d'agrémenter ses lettres de dessins.
Avant la tempête
Photo : Claire Vuillemin
Mathurin Méheut travaille avec l'atelier Henriot à Quimper pour la faïence, mais également à la Manufacture nationale de Sèvres et avec Villeroy et Boch à Mettlach pour créer de la vaisselle de table et quelques pièces sculptées.
Également décorateur, Mathurin Méheut collabore à la revue Art et Décoration et réalise de nombreuses commandes dans sa carrière dont des décors de paquebot.
Peintre d'une réalité singulière, Méheut capte les images d'un monde rural et littoral en pleine mutation. Son trait de crayon va à l'essentiel.
Ouessant, côte nord-est
Gouache et fusain sur carton - non daté H. 49 ; l. 64 cm Musée Mathurin Méheut, Lamballe-Armor - © Musée Mathurin Méheut, Lamballe-Armor / ADAGP, Paris 2022
L'exposition du musée de Pont-Aven retrace le cheminement de l'artiste depuis sa vision naturaliste des débuts à Roscoff à la singularité des silhouettes en passant par la qualité des paysages, l'âpreté des travaux de la terre et de la mer, l'animation des villes, la diversité des modes vestimentaires...
A la manière d'un ethnographe, Méheut porte la même attention au détail quand il s'agit de traduire la société populaire bretonne de son époque, dans les travaux des champs comme dans ceux de la mer mais aussi dans les moments festifs comme les pardons ou les marchés.
Le Pardon de Notre-Dame du Haut à Trédaniel
Gouache sur papier - 1953 H. 50,1 ; l. 65,2 cm
Musée Mathurin Méheut - Lamballe-Armor © Musée Mathurin Méheut - Lamballe-Armor / ADAGP, Paris 2022
Méheut a représenté des thèmes qui parlent à tous : la nature, le quotidien des " petites gens " mais il a également laissé son empreinte sur l'Histoire puisque son travail dans les tranchées participe à nous faire connaitre un peu mieux la vie pendant la première guerre mondiale. L'état major de l'armée lui avait en effet permis d'être l'un des illustrateurs de la guerre.
Le Mathurin Méheut qui, pendant plus de quatre ans, va témoigner en dessinant la Grande Guerre au plus près des hommes depuis les tranchées où il se bat, est également évoqué à Pont-Aven.
Brest 39 [Boum Daisy] Gouache sur papier - 1939 - H. 30 ; l. 40 cm
Musée Yvonne Jean-Haffen, Dinan © Musée Yvonne Jean-Haffen / ADAGP, Paris 2022
Souvent assigné à la Bretagne, Méheut a aussi peint l'ailleurs, toujours avec le même trait incisif, qu'il s'agisse du Japon d'où il rentrera au moment de la mobilisation de la Première Guerre mondiale, de la Provence où il fera construire une maison, ou encore de son imaginaire, comme ces "Femmes pagures" ou "Femmes bernard-l'hermite" dans une veine symboliste pleine de fantaisie. Car il ne faut pas oublier que Méheut était aussi un décorateur très sollicité mais aussi un faïencier et un céramiste de talent.
Femmes pagures ou Femmes bernard-l'ermite
Gouache sur papier H. 39,5 ; l. 27 cm
Collection particulière
© Bernard Galéron / ADAGP, Paris 2022
L'exposition de Pont-Aven participe à " L'été Méheut en Bretagne " avec l'ouverture du nouveau musée Mathurin-Méheut à Lamballe.
Musée de Pont-Aven, tous les jours sauf le lundi 10 h/18 h. Entrée de 6 à 8 €. Tél. 02 98 06 14 43.
