À travers l'histoire de la Bergerie nationale de Rambouillet et de son troupeau de moutons mérinos à la laine surfine, c'est une guerre de plus de deux cents ans qui nous est contée. Tout commence en 1786, avec le voyage vers Rambouillet du troupeau offert par le roi d'Espagne à Louis XVI, dans un contexte d'âpres rivalités commerciales. Dès lors, la bergerie de Rambouillet se veut la vitrine de l'excellence française, lieu de formation des meilleurs bergers du pays. L'institution traverse les xixe et xxe siècles en étant mêlée à tous les grands enjeux de l'histoire, tout en préservant dans ses murs le trésor vivant d'un troupeau reproduit sans aucun croisement extérieur jusqu'à nos jours. Mobilisés par Napoléon Ier pour contrecarrer l'industrie de la laine britannique, présents dans toutes les expositions internationales du xixe siècle, exportés sur tous les continents, aujourd'hui invités à éduquer les jeunes générations aux enjeux de la biodiversité, les mérinos de Rambouillet sont les acteurs d'une histoire sans pareille.
Riche d'archives inédites et d'une iconographie exceptionnelle (gravures, aquarelles, photographies, tableaux d'échantillons de laine, etc.), l'exposition La Guerre des moutons entraîne le visiteur dans un récit qui croise les enjeux de l'élevage, de l'industrie, du commerce, de la science et de la diplomatie, fruit d'une longue recherche qui associe historiens et spécialistes des sciences de l'animal. Elle nous dit l'intimité insoupçonnée des relations entre l'histoire de France et celle d'une race choisie pour être le miroir de son génie modernisateur
La Bergerie nationale de Rambouillet constitue un lieu de mémoire unique au monde. Tout d'abord, mémoire de pierre d'une institution créée en 1786 et qui s'offre encore au visiteur dans l'élégance de son architecture classique. Ensuite, mémoire de papier d'un fonds documentaire d'une exceptionnelle richesse, conservé au long de presque deux siècles et demi d'histoire, et versé depuis 2016 aux Archives nationales. Enfin et surtout, mémoire de chair, de corne et de laine d'un troupeau consanguin de béliers et de brebis mérinos jalousement conservés à travers les vicissitudes de l'histoire nationale, et toujours visible dans les lieux mêmes de sa première acclimatation, dans le parc du château de Rambouillet, dans les Yvelines
Plan de la ville de Rambouillet et de ses environs, [1784-1790]. F/1A/2001/27/B. © Arch. nat
Le moment de la fondation de la Bergerie, dans les toutes dernières années de l'Ancien Régime, est marqué par la passion pour l'expérimentation et l'amélioration agronomiques qui irrigue des élites françaises et européennes dont la fortune est encore largement fondée sur la mise en valeur de la terre, même si dans les îles britanniques déjà, la révolution industrielle prend forme.
Photographies de mérinos et de bergers à Rambouillet, tirées des plaques de verre du fonds de la Bergerie nationale, première moitié du xxe siècle. 20160285/746-748. © Arch. nat
Si le vocabulaire du pastoralisme, l'imaginaire de la laine et les mythes associés aux bergers renvoient à un idéal de paix des champs, c'est au contraire une histoire de bruit et de fureur que l'on découvre à travers les archives de la Bergerie, dans les épisodes successifs d'une rivalité européenne, puis mondiale, pour le contrôle de l'industrie de la laine.
Cette histoire débute au cœur du " beau xviiie siècle " européen, alors que toutes les grandes nations, nourries de philosophie des Lumières, lorgnent sur les troupeaux d'une valeur incomparable de la Couronne d'Espagne, les mérinos à la laine surfine, jalousement gardés par les mayorals des grands du royaume. Si la France n'est pas la plus rapide à saisir l'occasion, elle est celle qui prépare le plus méthodiquement son action, mobilisant ses savants, sa diplomatie et, in fine, les liens de cousinage qui unissent Louis XVI à Charles III d'Espagne, pour développer sa propre souche de béliers à la blanche toison.
Travaux pratiques sous la conduite du maitre-berger, [1935-1955]. 20190362/NC. © Arch. nat​
Avec l'essor du commerce et de la consommation, une ressource prend une importance majeure dans l'économie européenne du xviiie siècle : la laine. Mais ce n'est pas une petite affaire de produire une laine de qualité, susceptible d'alimenter les manufactures. Le mouton, humble ruminant, fait alors l'objet d'une passion que l'on peine à imaginer aujourd'hui, mobilisant à la fois la science, le capital et le pouvoir politique pour fonder, depuis le travail du berger jusqu'à celui du tailleur d'habits, les conditions de la prospérité et de la puissance.
Dans un siècle où domine l'esprit mercantiliste, l'appropriation de cette ressource fait l'objet de rivalités féroces, chaque monarque cherchant à concentrer sur son territoire les productions textiles les plus prometteuses. De guerres coloniales en crises successorales, c'est ainsi toute l'Europe qui se trouve agitée par la quête de la suprématie manufacturière et marchande. Et si la brebis est, dans l'imaginaire chrétien, un symbole de paix, c'est avec sa laine que l'on tisse les uniformes des soldats du temps des " tyrannies éclairées "
Précipités dans les guerres de la Révolution et de l'Empire, puis dans l'expansion coloniale du xixe siècle, et enfin dans les tourments géopolitiques et les conquêtes scientifiques du xxe siècle, la Bergerie et ses mérinos invitent à une traversée de l'histoire à nulle autre pareille.
Le rêve d'une suprématie française dans l'industrie lainière continentale à partir des bergeries d'État se forme dans les dernières années du xviiie siècle, alors que la France révolutionnaire s'apprête à secouer l'Europe par ses conquêtes. Si les années 1789-1794 sont difficiles pour la Bergerie, incertaine de ses missions et de son avenir, les premières victoires françaises dans les guerres contre la coalition européenne ne tardent pas à lui donner une ambition nouvelle : devenir la tête de réseau d'un vaste projet de développement de la production lainière en France d'abord, puis, au gré des conquêtes, dans les territoires assujettis.
Avec l'arrivée au pouvoir de Napoléon Bonaparte, cette ambition s'amplifie encore, la rivalité avec le Royaume-Uni le conduisant à développer une stratégie d'affrontement sur tous les plans. Le développement de la production lainière sur le continent apparaît comme le moyen d'entamer la domination commerciale anglaise. Placée au sein de la Maison de l'Empereur, la Bergerie de Rambouillet devient dès lors la pièce centrale d'un projet de mérinisation autoritaire du cheptel européen sous la férule d'une administration impériale dédiée. Pour la première fois, science, agriculture, industrie, droit et diplomatie sont associés pour produire les fondements d'une puissance hégémonique. Un aigle impérial est perché sur la toison du mérinos !
Malgré le déclin rapide et prononcé de l'économie de la laine dans l'après-guerre, Rambouillet demeure un lieu emblématique de cette production en France, et constitue le dernier bastion de l'expertise lainière nationale, avec des directeurs qui mettent un point d'honneur à faire réaliser et à publier eux-mêmes des travaux sur la laine comme matériau. Pour la Fédération nationale ovine, encore dominée à cette époque par les grands propriétaires du Bassin parisien, Rambouillet représente un lieu chargé de mémoire, mais également un relais dans ses contacts avec les politiques publiques touchant aux questions agricoles et industrielles.
Archives nationales
60 rue des Francs-Bourgeois
75003 Paris
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