Les Alsaciens sont des bons vivants, de savants gastronomes. Bien sûr on le sait, mais ne vaut-il pas mieux le vérifier avant les fêtes de Noël, le temps d'une ballade au pied des Vosges. A l'ouest de Strasbourg, au pied du massif des Vosges courent la N4 puis la N422, entre Saverne et Sélestat. De part et d'autre de cet axe nord-sud, blottis sur eux-mêmes, les petits villages alsaciens font le dos rond en attendant l'hiver. C'est la période des fêtes, une étape gourmande de l'année, comme si chacun voulait se faire plaisir pour conjurer le mauvais temps. Les marchés de Noël rivalisent les uns avec les autres : vitrines décorées, sapins, pains d'épice, pommes d'amour. Dans les rues, ça sent bon le vin chaud à la cannelle et aux épices.
Reportage : André Degon ©
Les springerle
A Marmoutier, dans ce petit village situé à dix kilomètres au sud de Saverne, Claude Ernenwein, potier, est le grand spécialiste des « springerle » (petits sauteurs), ces moules en terre, sculptés et utilisés traditionnellement pendant l'Avant pour confectionner les petits biscuits du même nom au goût typique d'anis, une plante cultivées dans la région depuis le Moyen Age. Après son père et son frère, il continue de faire tourner l'atelier, et à 70 ans, il n'a pas l'intention d'arrêter. Claude Ernenwein reproduit des moules du XVe siècle qui étaient la plupart du temps sculptés dans du bois de poirier, un bois dur aux fibres courtes.
Les thèmes évoquent les travaux de la terre, les métiers, les animaux, des personnages élégants, le noble, le militaire. Ils peuvent aussi représenter des moments de la vie (le cœur pour un mariage, un bébé pour une naissance), être ornés des lettres de l'alphabet. La coutume voulait que l'enfant ne pouvait manger le gâteau qu'une fois connues les lettres. Pour fabriquer ces biscuits, il suffit d'étaler la pâte avant la cuisson et de l' « imprimer » à l'aide du moule.
Claude Ernenwein fabrique aussi des miniatures en terre cuite et émail inspirées du manuscrit Hortus deliciarum (XIIe siècle), encyclopédie qui fut conservée durant trois siècles au monastère du Mont Sainte-Odile et disparut lors d'un incendie durant la guerre de 1870.
Une abbatiale prestigieuse
Marmoutier qui tire son nom de Saint Maur mérite une longue visite pour découvrir l'abbatiale Saint-Martin qui dépendait de l'abbaye bénédictine fondée au VIe siècle par saint Léobard, disciple de saint Colomban. C'est un des monuments les plus remarquables d'Alsace qui réunit différents style : une façade romane, une nef gothique et un chœur du XVIIIe siècle. Cet édifice est aussi important par la présence d'orgues superbes que l'on doit au facteur Silbermann (XVIIIe siècle). Ne pas oublier de visiter la crypte où sont exposés les vestiges de l'église mérovingienne.
Autre site à ne pas manquer : le musée du patrimoine et du judaïsme alsacien. Cette maison retrace l'histoire de la communauté juive qui vécut à Marmoutier pendant une dizaine de siècles. Pour les inconditionnels d'Albert Kahn, de son musée et de son jardin situés à Boulogne-Billancourt, près de Paris, qu'ils sachent que l'illustre banquier et mécène est né dans ce petit village au n°8 de la rue du 22 novembre (anciennement rue des Juifs). A propos, savez-vous comment on appelle les habitants de Marmoutier ? Les Maurimonastériens !
- Poterie Claude Ernenwein, 78, rue du général Leclerc. Tel. : 03 88 70 62 50.
Site : http://www.poterie-ernenwein.com.
Der Löjelgücker
Après une ballade dans les vignes du village de Traenheim, au sud de Marmoutier, une étape auprès de Lydie et Claude Fuchs. Ils tiennent l'auberge du village, Der Löjelgücker, qui signifie : « celui qui regarde s'il reste du vin dans le tonneau ». On voit donc que l'on parle d'affaires sérieuses. Claude est membre de l'Association française des maîtres restaurateurs qui regroupe 2 700 cuisiniers en France soucieux de défendre la cuisine élaborée sur place avec des produits frais. Label délivré sous la houlette du ministère de l'Artisanat, du commerce et du tourisme. Autant dire que dans sa cuisine, on ne trouve pas de batterie de micro-ondes.
Dans sa belle salle toute en boiseries avec des fresques illustrant les travaux de la vigne, on est au cœur de la tradition avec des plats tels que les lewerknepfles à l'ancienne (quenelles de foie) avec choucroute nouvelle et pommes de terre sautées, le wädele (jarret) de porcelet braisé à la bière ou encore la fricassée de rognons. Claude Fuchs est un homme simple qui aime le travail bien fait. Dans son auberge, tout le monde se côtoie, de l'ouvrier au cadre supérieur, les menus vont de 8,20 euros à 42 euros en passant par un très beau trois plats à 22,50 euros. Pour les vins, Traenheim est au cœur d'un vignoble plutôt tendance pinot noir et riesling ; il n'y a donc que l'embarras du choix avec une préférence pour Jean-Jacques Muller dont toute la production est passée en bio depuis 2008.
- Auberge de Traenheim, 17, rue Principale. Tel. : 03 88 50 38 19 ; site : www.aubergedetraenheim.com
- Domaine Charles Muller, Jean-Jacques Muller, tel. : 03 88 50 38 04 ; site : http://www.alsacemuller.fr/ .
La ferme Schmitt
Au pied du Bischenberg se trouve le village de Bischoffsheim. C'est là que la famille Schmitt a créé sa ferme dans les années 70, au bout du village, non loin de la D500 qui relie Molsheim (le fief de Bugatti) à Obernai. Au début des années 70, Jean-Paul et Marlyse se lancent dans l'élevage des porcs et dans le séchage du tabac. Puis en 1977, ils décident d'élever des oies et de renouer avec la tradition alsacienne du gavage de ces fiers palmipèdes.
Mais d'où vient cette pratique ? Il semblerait que le gavage des oies, découvert par les Egyptiens, soit devenu la spécialité des Hébreux au pays de Pharaon. A la suite de l'exil, cette tradition se retrouve en Europe du nord pendant tout le Moyen Age. Au XVIIIe siècle, un certain marquis de Contades, maréchal de France de son état, gouverneur militaire d'Alsace et fine gueule demande à son cuisinier, Jean-Pierre Clause, de préparer un plat pour épater ses amis. L'habile maître-coq sort de ses fourneaux un pâté de foie gras en croute qui fait l'admiration des convives. Pour le chef, c'est la gloire, le foie gras alsacien gagne ses lettres de noblesse.
Mais revenons à la famille Schmitt : si l'élevage et le gavage des canards destinés à la production du foie gras représentent l'essentiel de son activité, l'élevage de l'oie n'est pas négligé, bien au contraire. Gilbert, le fils, 33 ans, qui a repris l'entreprise est clair : « Je souhaite développer le foie gras d'oie d'Alsace. C'est pourquoi, à côté de notre élevage de 15 000 canards, nous élevons 2000 oies cendrées. Et si notre ferme est aux normes européennes, notre pratique reste artisanale. Nos volailles, qui vivent en plein air, sont nourries au grain non OGM qui provient de nos 27 hectares de céréales (maïs, blé). Nous fabriquons nos propres aliments »
Avec quinze éleveurs comme lui, Gilbert Schmitt est membre de l'association de producteurs de foie gras des fermes d'Alsace, « Gänzeliesel » qui signifie Lise, la gardienne d'oie, une figure que l'on retrouve dans la mythologie des pays germanophones. Cette association, créée en 2001, garantit la qualité des produits et leur origine. Ici, on ne connait pas les foies gras étiquetés français mais fabriqués avec des foies d'origine d'Europe centrale. La traçabilité est parfaite. Et si le foie gras de canard demeure en tête des ventes, l'oie est en train de reconquérir le terrain qu'elle occupait traditionnellement.
Oie cendrée d'Alsace
Car soyons clairs, un foie gras d'oie est autrement plus fin et long en bouche qu'un foie gras de canard moins élégant qui attaque fort en goût dès la première bouchée. Et si en plus votre foie gras d'oie est protégé par une couronne de gelée fraiche en accompagnement, le paradis n'est pas loin. Il suffit de le marier à un gewurztraminer du domaine de Weinbach.
A Bischoffsheim, devant le magasin de vente qui ne désemplit pas, c'est l'effervescence de Noël, les camionnettes de vente ambulante font le plein pour partir sur la vingtaine de marchés de la région. Chacun s'affère pour approvisionner son étal. C'est que l'essentiel de la vente des produits de Gilbert Schmitt se fait sur les marchés. Et les clients ne s'y trompent pas qui savent reconnaître un beau foie, souple et lisse, avec une belle couleur homogène.
- Ferme Schmitt, 19, rue du Ried. Tel. : 03 88 50 26 67 ; site : www.foiegrasdalsace.com
Un macaron Michelin
Au cœur d'Obernai, le Bistrot des saveurs, un macaron Michelin, chef Thierry Schwartz. Bel établissement ouvert dans une salle traditionnelle alsacienne avec poutres, feu de cheminée au fond pour les grillades, tables en bois de châtaignier. Accueil classique, rien de trop. Notre table avait été réservée ainsi que le menu. Entrée : carotte, une grosse et belle carotte fondante dans l'assiette. « Mais monsieur, elle provient de la ferme Truttenhausen ! ». Bien. Aparté tout personnel : ma femme cuisine les carottes de la même manière et elles proviennent du marché de Madame Nicolas à Saint-Martin-de-Boscherville, en Normandie. Donc les carottes je connais. Ici elle est vendue 20 euros !!!
Ensuite, le choix est fait pour un lieu jaune. Parfait, mais tiède. Je demande donc de le faire réchauffer. « Mais monsieur, la cuisson ! ». Certes, mais j'aime manger chaud. Le lieu revient chaud, la cuisson n'a pas souffert. C'est parfait. Dessert : un Paris-Brest revu et corrigé façon Alexandre Faix. Bon, sans plus, crème un peu lourde.
Résultat : un curieux sentiment. Certes les produits sont parfaits. Mais que manque-t-il ? Peut-être un peu de chaleur. Ah, j'oubliais, excellent choix de pain et le meilleur bretzel jamais mangé. Il est vrai que le pain provient de la boulangerie Saveurs bretzel qui est dans le giron du bistrot. Menus : déjeuner 29 euros (deux plats), 36 euros (trois plats), 78 euros (neuf plats) ; diner : 36 euros (trois plats), 78 euros (neuf plats).
- Le bistrot des saveurs, 35, rue de Sélestat. Tel. : 03 88 49 41. Site : www.bistrot-saveurs.fr .
La mémoire du monde
Le saviez-vous : le nom d'Amérique donné au Nouveau Monde après sa découverte le fut par un certain Mathias Ringmann et par le géographe Martin Waldseemuller dans un ouvrage, la Cosmographiae introductio, imprimé à Saint-Dié en 1507, dans lequel ils proposent d'appeler le nouveau continent, découvert par Christophe Colomb en 1492, d'après le nom d'Amerigo Vespucci dont ils publient les lettres dans cet opuscule. Ce texte est considéré comme l'acte de naissance de l'Amérique.
Bibliothèque humaniste de Sélestat
C'est une des bonnes raisons pour visiter la Bibliothèque humaniste de Sélestat, une des trente deux bibliothèques les plus célèbres du monde occidental. Fondée en 1452, elle est installée depuis 1889 au premier étage de l'ancienne halle aux grains. Deux fonds majeurs sont déposés à la bibliothèque : le fond de la bibliothèque paroissiale de Sélestat constitué à partir de 1452 et la bibliothèque personnelle de l'humaniste Beatus Rhenanus (XVIe siècle), ami d'Erasme de Rotterdam.
Bibliothèque de Beatus Rhenanus
Ce fond est la seule bibliothèque humaniste restée intacte sur le sol français. Parmi les ouvrages les plus précieux, un incunable lectionnaire mérovingien du VII siècle, le plus vieux livre conservé en Alsace. On trouve également un registre de la ville datant de 1521 faisant mention pour la première fois de l'arbre de Noël. A noter que la bibliothèque de Beatus Rhenanus qui se compose de 423 volumes a été inscrite en 2011 au Registre de la mémoire du monde à l'Unesco.
- Bibliothèque humaniste de Sélestat, 1, rue de la Bibliothèque. Tel. : 03 88 58 07 20. Site : www.selestat.fr/spip_bh/
Dans la ville de Sélestat, près de la bibliothèque, à découvrir également la Maison du pain. Une dizaine de boulangers ont eu la bonne idée de se réunir et de créer dans l'ancien siège de la corporation (1522) cet écomusée où sont dispensés des ateliers pour faire découvrir aux enfants ce qu'est le pain et leur mettre la main à la pâte. On peut également acheter du pain fabriqué sur place dans cet espace dédié.
- Maison du pain d'Alsace, rue du sel. Tel. : 03 88 58 45 90. Site : www.maisondupain.org .
Un duo de choc
La vieille tour. Un duo de choc préside aux destinées de cette belle maison bourgeoise. De l'énergie et du savoir-faire, ils en ont à revendre les frères Ruhlmann. Samy et Nicolas se partagent la cuisine. Samy pour le chaud et Nicolas pour le froid et la pâtisserie. A eux deux, ils ont un beau palmarès entre le Cheval blanc à Westhalen, l'Auberge de l'Illhausen, le Fer rouge à Colmar et bien d'autres, avant de reprendre cette demeure du XVIIIe siècle cossue et accueillante. A la Vieille tour, on ne mégotte pas, on aime le bien vivre et le bien manger et ca se sent. Appétissante noisette de daim avec un strudel de champignons et embeurrée de choux vert, émincé de rognons de veau accompagné de jus brun et wassertriewela (spazle) au fromage blanc maison. Menu du jour (deux plats) : 16,50 euros ; menu du marché : 20,50 euros ; menu de saison : 31 euros ; menu plaisir : 45 euros. Très bon rapport qualité-prix.
- La vieille tour, 8, rue de la Jauge. Tel. : 03 88 92 15 02. Site : www.vieille-tour.fr
Où coucher pendant cette ballade gourmande ?
Le Gouverneur. Au cœur de Sélestat (parking privé), dans une maison alsacienne, une trentaine de chambres classiques autour d'une cour intérieure. Accueil très souriant et efficace. Lors de notre séjour, le chauffage n'était pas au meilleur de sa forme. Chambres doubles : de 65 à 95 euros, petit déjeuner 9 euros.
- Le Gouverneur, 13, rue de Sélestat. Tel. : 03 88 95 63 72. Site : www.hotellegouverneur.com .
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