Avec ses airs d'Irlande, battu par les vents d'ouest et ses paysages marins à couper le souffle, le Cotentin mérite décidément le détour. Entre la rade de Cherbourg (dont on oublie trop souvent le rôle qu'elle a joué dans le Débarquement des Alliés en Normandie), le bocage, les plages, les musées, un fabriquant de parapluies (les "Parapluies de Cherbourg", ce n'est pas qu'au cinéma !) il y a tant à voir dans cette pointe de terre qui s'avance vers la Manche pour mieux se distinguer du reste de la Normandie...
Reportage : André Degon ©
Cherbourg…Et la liberté vint de la mer
Cherbourg, port de la libération : le saviez-vous ? Quand on pense libération de la France, on pense plages de débarquement… Mais de Cherbourg, il n'est jamais question. Etonnant ! Un problème de communication sans doute ? Pourtant ce port fut en 1944, d'août à novembre (avant la libération des accès au port d'Anvers) le plus important du monde pour son activité et son trafic.
Lorsque Churchill et Eisenhower décident du lieu du débarquement et débutent la mise en chantier de l'opération Overlord, en août 1943, ils envisagent la création d'un emplacement de dépôt de matériel destiné à ravitailler les armées à la reconquête de l'Europe. Leur choix s'arrête sur Cherbourg, le seul port en eaux profondes doté d'installations suffisantes, avec une rade la plus grande du monde.
Le 6 juin, la Bataille de Normandie s'engage. 5 000 navires se dirigent vers cinq plages dont les noms resteront dans l'histoire : Utah, Omaha, Gold, Juno et Sword Beach. A Utah Beach débarque la 4e division d'infanterie américaine alors que les 82e et 101 divisions aéroportées américaines sautent sur Sainte-Mère-Eglise. C'est le début de la remontée du Cotentin vers Cherbourg. Le 18 juin, la 9e division d'infanterie américaine atteint la côte ouest de la presqu'île. Les troupes allemandes sont isolées au nord. Le 26 juin le général américain Collins entre dans la ville. Le port passe aux mains des Alliés. Il faut alors sécuriser, reconstruire, déminer, enlever les épaves coulées par les Allemands.
En cinq mois, l'accès au port est rétabli. Le matériel arrive directement des Etats-Unis. En août, depuis l'Ile de Wight, un gigantesque oléoduc baptisé Pluto (pour Pipe Line Under The Ocean) prend le relais des pétroliers ancrés à Querqueville. Entre juillet 1944 et mars 1945, plus de deux millions de tonnes seront débarquées à Cherbourg.
Pour transporter les marchandises, armes, pneus, carburant… jusqu'au front , les lignes de chemins de fer étant hors d'usage, les Américains mettent sur pied une fabuleuse logistique de transport routier : le Red Ball Highway Express (Red ball, appellation des trains prioritaires chez les cheminots américains), système de transport routier incroyable qui dans un premier temps rallie le port à Chartres sur une route mise à sens unique, interdite aux civils : 900 véhicules jour et nuit, distants de 60 m les uns des autres, roulant à une vitesse de 40 km/h se suivent comme un gigantesque serpent. Aucun arrêt autorisé hors les pauses de 10 mn à heures fixes. La majorité des chauffeurs sont des soldats afro-américains interdits dans les unités combattantes pour cause de ségrégation. Au total, en deux mois et demi, 412 197 tonnes seront acheminées vers le front.
La Cité de la mer
C'est cette histoire passionnante qui est retracée dans l'exposition temporaire « Cherbourg…Et la liberté vint de la mer » qui se tient jusqu'au 30 septembre à la Cité de la mer, dans la gare maritime transatlantique.
La gare maritime en 1944
Expédition D-Day, vétéran à bord d'un sous-marin
Des vidéos sous-marines - celles tournées par Sylvain Pascaud l'été dernier dans le cadre de l'expédition D-Day qui permit à des vétérans de plonger sur certains navires coulés sur lesquels ils avaient embarqué - des modélisations en 3D des épaves trouvées au large, des films d'archives…, tout ce matériel est mis à disposition du public pour comprendre le rôle logistique de la ville.
Epave de char Shermann en rade de Cherbourg
L'exposition s'inscrit dans les événements qui rythmeront cette année-anniversaire en Normandie, notamment en collaboration avec le Mémorial de Caen.
Mais la Cité de la mer (lire notre reportage), c'est aussi la vision d'un homme, Bernard Cauvin, élu local et ancien des chantiers navals de Cherbourg, une forte personnalité, qui a entreprit avec une poignée de passionnés de sauver l'ancienne gare maritime transatlantique d'une démolition programmée. Il a tout de suite compris l'importance architecturale de cet édifice, chef d'œuvre de l'Art déco conçu par René Levavasseur et inaugurée en 1933 par le président Albert Lebrun.
Depuis la fin du XIXe siècle, les plus grands paquebots du monde faisaient escale à Cherbourg à destination de l'Amérique du Nord et de l'Amérique du Sud mais, sans quai pour accoster, ils restaient dans la rade, reliés à la terre par des transbordeurs assurant les navettes des passagers. Dans les années 1920, devant l'arrivée massive d'émigrants de toute l'Europe désireux de tenter leur chance dans le « Nouveau Monde », la ville de Cherbourg entreprit de construire une gare maritime.
Ce sera la plus grande du monde avec 280 m de long et 100 m. de large : un hall accueillant le chemin de fer et un hall des transatlantiques abritant notamment la salle des pas perdus et la salle des formalités douanières. Les plus grandes compagnies maritimes étrangères comme la Cunard ou la White Star faisaient escales régulièrement pour embarquer les migrants anonymes et les stars comme Charlie Chaplin ou Richard Burton et Elisabeth Taylor. Après la guerre, la concurrence de l'aviation, sonna le glas des grands liners et de la gare maritime qui sombra, à l'abandon.
En même temps qu'il entreprend le sauvetage de la gare maritime, Bernard Cauvin se voit proposer le sous-marin nucléaire le Redoutable qui fut construit dans l'arsenal. En fin de vie, désarmé, il trouve sa place dans une darse spécialement conçue, près de la gare ; il sera le plus grand sous-marin visitable au monde.
Voir notre reportage "Visite du sous-marin nucléaire Le Redoutable"
Ainsi donc la gare maritime et le Redoutable furent les « locomotives » de la Cité de la mer qui ouvrit ses portes en avril 2002 sous la présidence de son fondateur. Consacrée à la grande aventure de l'homme sous la mer, la Cité héberge le grand aquarium abyssal de 11 mètres de haut conçu par Jacques Rougerie et des aquariums thématiques.
Sous le hall des trains se trouve la Grande galerie des engins et des hommes où sont exposés une douzaines de sous-marins de toutes nationalités ayant participé à l'aventure humaine sous la mer.
Dernier arrivé en 2014, Deepsea Challenger, la réplique du sous-marin de James Cameron, recordman de plongée en solitaire à – 10 898 mètres.
Deepsea Challenger, réplique du sous-marin de James Cameron
Le hall transatlantique de la gare a repris vie. Dans la superbe salle des bagages restaurée, utilisée pour accueillir les croisières, un dispositif de projection d'images sur les murs rappelle les moments forts de l'émigration de 50 millions de personnes qui fuirent l'Europe vers les Amériques. Visages d'hommes, de femmes, d'enfants… de Cherbourg à Ellis Island. « Le plus grand exode de l'humanité » comme le souligne Bernard Cauvin. Le visiteur peut consulter la base de données généalogique qui répertorie tous les passagers qui partirent de Cherbourg. Autre évocation, celle du Titanic qui vogua vers son destin depuis Cherbourg. La scénographe Clémence Farrell fait vivre au visiteur les quatre derniers jours du mastodonte sur la passerelle avec devant les yeux un écran géant de 24 m de long représentant l'océan, avec les heures qui s'égrènent jusqu'à la rencontre fatale. Environnement sonore et visuel, visite d'une cabine de 1ère classe, de la salle du télégraphe, évocation de passagers célèbres et anonymes, témoignages… Passionnant. Grâce au 70e anniversaire de la Bataille de Normandie, Cherbourg a retrouvé son passé. Grâce à la Cité de la mer, la ville est tournée vers les océans et à leur formidable potentiel énergétique. Des hydroliennes que l'on peut découvrir à la Cité seront bientôt mis en chantier dans les fonds sous-marins au large du Cotentin.
La mémoire autour de Cherbourg
Dans le cadre du 70e anniversaire de la Bataille de Normandie, deux endroits son impérativement à visiter, le Musée Airborne à Sainte-Mère-Eglise et le Musée de Utah Beach.
- Le Musée Airborne se renouvelle après cinquante années d'existence dédiée essentiellement à la mémoire des parachutistes qui sautèrent sur Sainte-Mère-Eglise. Un troisième bâtiment est ouvert depuis le 1er mai, « Opération Neptune ». Il met en scène l'engagement des parachutistes des 82e et 101e divisions depuis leur embarquement en Angleterre jusqu'à la bataille des haies. Le visiteur monte à bord d'un C-47. Tout y est : le bruit des moteurs, les secousses, la lumière les détonations. Une scénographie résolument interactive. Les deux autres halls abritent un planeur Waco, unique en France et un véritable Douglas C-47, l'Argonia, entouré de mannequins dont celui d'Eisenhower saluant les troupes. A l'extérieur du musée, une tendresse pour la figurine représentant le célèbre para John Steele accroché au clocher de l'église de Sainte-Mère depuis une cinquantaine d'année en souvenir. Toutes les informations sur les commémorations sur le site (lire le pratique).
Sainte Mère église
- Le musée du débarquement à Utah Beach a été construit sur un bunker allemand, sur la plage. Très riches collections d'objets, de véhicules et de matériels. A l'origine de ce musée, Michel de Vallavieille, alors maire de Sainte-Marie-du-Mont qui, en 1962, décide de créer un lieu de mémoire pour saluer ces soldats américains venus donner leur vie pour la France. C'est en 1994, lors du cinquantenaire du débarquement que le musée prend sa réelle dimension avec l'ajout d'une salle panoramique donnant sur la plage et retraçant les combats. En 2007, deux visiteurs américains reconnaissent leur père sur des documents exposés. Ils décident alors de financer la rénovation du lieu. Trois points forts : la présence d'un bombardier « Marauder » B26 (il en reste six dans le monde) exposé dans une salle dédiée, une barge de débarquement Higgins et le film documentaire « Victoire dans le sable ».
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PRATIQUE
Ou séjourner
A Cherbourg
- L'app@rt 54, 54, rue Emmanuel-Liais. Tél. : 02 33 78 91 60/06 98 00 91 60. www.appart-hotel.net .
Au cœur de la ville, trois beaux appartements (dont un studio sous les toits) meublés de trois tailles différentes (logement de une à quatre personnes), tout équipés. Location à la nuitée (de 86 euros à 139 euros selon appartement et saison) ou à la semaine (de 435 euros à 830 euros). Studio : canapé-lit, autres appartements : lits de 140x200. Vue sur la ville.
A Saint-Vaast-la-Hougue
- L'Hôtel de France et des Fuchsias, 20, rue du Maréchal Foch. Tél. : 02 33 54 40 41. www.france-fuchsias.com . Une institution dans ce charmant petit village de bord de mer. Très prisé des Britanniques pour son côté cosy des 35 chambres toutes différentes dont 13 donnent sur un jardin exubérant clos de murs. Préférer les chambres 25 à 28 plus grandes. Charmante véranda à l'ancienne. Chambre 2 pers. : de 59 euros à 138 euros selon saison et taille. Pt.déj. 11 euros/pers.
A Sainte-Marie-du-Mont (à l'est de Sainte-Mère-Eglise)
- Le Grand Hard, La Rivière. Tél. : 02 33 71 25 74. www.legrandhard.fr .
Grand domaine pour les amateurs de promenades à pied, à cheval, à vélo. Golf. Beaucoup de charme. Chambres : de 98 et 105 euros pour 2 pers. Pt. dj. : 15 euros/pers. Restaurant : 24 euros.
A voir
A Cherbourg
- La Cité de la mer, Gare maritime transatlantique. Tél. : 02 33 20 26 69. www.citedelamer.com . La Cité de la mer entend retracer l'aventure de l'homme sous la mer. Compter une journée de visite pour découvrir la gare maritime, la galerie des engins et des hommes, les aquariums, le sous-marin Le Redoutable, l'exposition concernant le Titanic (très intéressante scénographie) et l'exposition temporaire « Cherbourg… Et la liberté vint de la mer » qui se tient jusqu'au 30 septembre 2014.
- Le musée de la libération. Montée des résistants. Tél. : 02 33 20 14 12.
Exposition « Alliés, ennemis et après ? ». Les relations internationales cherbourgeoises après la Seconde Guerre mondiale. Jusqu'au 30 novembre 2014.
- les batteries du Roule. S'adresser à l'association Exspen. Tél. : 06 31 45 25 80. www.exspen.com . Découverte des fortifications creusées pendant la Seconde Guerre mondiale par les Allemands pour défendre Cherbourg. 750 m de galeries à parcourir avec un casque et une lampe frontale.
- Le véritable parapluie de Cherbourg
Pour les amoureux du film "Les parapluies de Cherbourg", on peut visiter la manufacture de parapluies. Là on n'est pas dans le « pebroc » made in China, on est dans le vrai, le beau parapluie en toile. Magasin de vente : 30, rue des Portes. www.cherbourgtourisme.com. Visite de la manufacture (8, rue Carnot, Tourlaville) les 23 et 30 juillet et 4, 8 et 28 août à 14 h. Tarif : 6 euros. Se renseigner auprès de l'office de tourisme au 02 33 93 52 02. L'office organise également des visites des lieux de tournage du film de Jacques Demy les 13 et 27 juillet et les 10 et 24 août.
A Sainte-Mère-Eglise
- Le musée Airborne, 14, rue Eisenhower. Tél. : 02 33 41 35. www.airborne-museum.org/. Ce musée créé il y a cinquante ans reçoit une nouvelle salle avec une scénographie plus interactive avec le public. Incontournable.
A Sainte-Marie-du-Mont
- Le musée du débarquement Utah Beach. Sur la plage. Tél. : 02 33 71 53 35. www.utah-beach.com . Parmi les incontournables, un authentique B-26 Marauder. Il ne reste que six exemplaires de cet avion dans le monde.
A Saint-Vaast-la-Hougue
- Exploitation ostréicole La Tatihou, 6, rue des Parcs. Tél. : 02 33 54 43 04. Visites possibles sur réservation (conditions pour les groupes). Prix des huîtres, départ « cave » : 5,25 euros/kg. Possibilité d'acheter par correspondance. Envoi par Colissimo sous 48 h.
- A Barfleur
- Le phare de Gatteville. Tél. : 02 33 23 17 97
365 marches, 52 ouvertures et 12 niveaux. Eprouvant, mais l'effort est récompensé quand on découvre le panorama depuis la lanterne. Par beau temps on découvre les plages d'Omaha et de Utah ainsi que les îles Saint-Marcouf. Construit sous le règne de Charles X et mis en service en 1835, le phare actuel de Gatteville, haut de 75 mètres est le deuxième plus haut phare d'Europe, le premier étant le phare de l'île Vierge en Bretagne (82,50 m). Sa hauteur devait permettre d'opérer la jonction entre le phare de la Hève au Havre et celui de la pointe du sud de l'île de Wight Le phare est ouvert aux visites. Se renseigner.
Pour les amateurs de jardins :
La Hague Cap Cotentin propose de s'évader au travers de 4 jardins propices à une échappée :
- - Poétique dans « Les Jardins en hommage à Jacques Prévert » avec une virée possible à la Maison Jacques Prévert, située à seulement 2km
- - Subtropicale au « Jardin Botanique du Château de Vauville »,
- - Anglaise au « Parc de Nacqueville »,
- - ou encore Romantique au « Parc du Château de Flamanville » !
Pour en savoir plus
- Office de tourisme Cherbourg-Cotentin, 14, quai Alexandre III, 50100 Cherbourg-Octeville. Tél. : 02 33 93 52 02. www.cherbourgtourisme.com . Pour tout savoir sur les expositions, concerts, projections, bals musette… à l'occasion du 70e anniversaire de la libération de la ville.
- Cité de la mer, Gare maritime transatlantique. Tél. : 02 33 20 26 69. www.citedelamer.com . pour connaître le détail des manifestations.
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